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chair ; mais sous les dehors d’une chair mortelle se cachait sa majesté immortelle. Quels yeux pouvaient apercevoir cette majesté immortelle voilée par une enveloppe de chair ? Il y a d’autres yeux que ceux-là, il y a les yeux de l’âme. Certes, Tobie n’était pas entièrement privé de la vue quand il donnait à son fils des préceptes de vie[1]. Le fils donnait la main à son père pour guider ses pas le père donnait des conseils à son fils pour l’aider à marcher dans la voie de la justice. Ici je vois réellement des yeux, là j’en devine. Les yeux de celui qui donnait des conseils valaient mieux que les yeux de celui qui lui servait de guide. C’étaient de tels yeux que cherchait Jésus-Christ, lorsqu’il disait à Philippe : « Depuis si longtemps je suis avec vous, « et vous ne me connaissez pas encore ». C’était à de tels yeux qu’il faisait allusion quand il disait : « Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père [2] ». Ces yeux sont les yeux de l’intelligence, ces yeux sont les yeux du cœur. C’est pourquoi, après avoir dit : « Dieu est le roi de la terre », le Psalmiste ajoute aussitôt : « Chantez avec intelligence » ; c’est-à-dire qu’en disant : « Chantez notre Dieu, chantez », j’appelle Dieu notre roi. Vous avez vu notre roi pareil à un homme vivant au milieu des autres hommes, vous l’avez vu souffrant, crucifié, mort ; sous le voile de cette chair que vos yeux charnels pouvaient contempler se cachait quelque chose. Qu’était-ce ? « Chantez avec intelligence », ne cherchez pas à voir avec les yeux du corps ce que vous ne pouvez apercevoir que des yeux de l’âme. « Chantez » avec votre langue, en tant que nous l’avons vu comme homme au milieu de nous ; mais en tant qu’il « est le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous », que notre corps loue son humanité et que notre âme adore sa divinité. « Chantez avec intelligence », et reconnaissez que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous ».

4. Qu’à son tour Jean rende témoignage à Jésus-Christ. « Après cela », est-il dit, « Jésus vint en Judée avec ses disciples ; il y demeurait avec eux et baptisait ». Après avoir été baptisé, il baptisait ; mais il ne donnait pas un baptême pareil à celui qu’il avait reçu. Le naître baptise après avoir été baptisé par le serviteur, il avait voulu nous indiquer par là le chemin de l’humilité, et nous conduire au baptême du maître, c’est-à-dire à son propre baptême, en se montrant assez humble pour ne pas dédaigner le baptême de son serviteur. Le baptême du serviteur préparait la voie au maître, et le Seigneur, en le recevant, s’est fait la voie de ceux qui viennent à lui. Écoutons-le, lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie[3] ». Si tu cherches la vérité, suis la voie qui y mène, car la voie est en même temps la vérité. Le but où tu tends, la voie qui t’y conduit, c’est la même chose ; autre n’est pas le chemin, et autre le but où il conduit : tu n’arrives pas au Christ par une voie différente de lui-même : tu vas au Christ par le Christ. Comment cela ? Tu vas par Jésus-Christ homme à Jésus-Christ Dieu, par le Verbe fait chair, au Verbe qui dès le commencement était Dieu, en Dieu ; par celui qui est la nourriture des hommes, à celui qui est la nourriture quotidienne des anges. En effet, il est écrit : « Il leur a donné le froment du ciel, l’homme a mangé le pain des anges[4] ». Quel était le pain des anges ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Comment l’homme a-t-il mangé le pain des anges ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[5] ».

5. Mais parce que nous avons parlé du pain qui fait la nourriture des anges, ne vous les représentez pas comme mangeant à notre manière. Car si telles étaient vos pensées, le Dieu dont se nourrissent les anges serait déchiré en morceaux. Peut-on partager la justice ? Mais, me dira encore quelqu’un : Peut-on se nourrir de la justice ? Comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés [6] ? » Le pain que tu manges pour te restaurer disparaît ; pour te rendre la force, il se consume ; mange la justice, tu renouvelles tes forces, et elle demeure intacte. Ainsi, quand nous jouissons de la lumière matérielle, son éclat répare en nous les forces du sens de la vue, et pourtant cette lumière n’est qu’un objet corporel perçu par les yeux du corps. Pour être demeurés trop longtemps dans les ténèbres, plusieurs ont senti leurs yeux s’affaiblir ; car ils avaient comme jeûné en fait de lumière. Privés de leur aliment,

  1. Tob. 4,1 suiv.
  2. Jn. 14, 9
  3. Jn. 14, 6
  4. Psa. 77, 24-25
  5. Jn. 1, 1, 14
  6. Mat. 5, 6