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nom pour l’éternité[1] ». Pour le mieux comprendre, rappelons-nous la promesse faite à Abraham, cette promesse a été renouvelée à Isaac et à Jacob. Quelle a été cette promesse ? « En votre race seront bénies toutes les nations[2] ». Abraham crut alors ce qu’il ne voyait pas encore, les hommes le voient et ferment les yeux. Ce qui a été promis à un seul homme a reçu son accomplissement parmi les nations, et ceux-là se séparent de leur communion, qui refusent de voir ce qui s’est accompli. Mais à quoi leur sert de vouloir fermer les yeux sur ce fait éclatant ? Bon gré, mal gré, ils le voient ; il leur est impossible d’en nier l’évidence, elle frapperait les yeux même quand on ne voudrait pas les ouvrir.

3. Ce Nicodème, auquel répond le Sauveur, était du nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et auxquels cependant il ne se fiait pas. Il y en avait, en effet, plusieurs auxquels Jésus-Christ ne se fiait pas, bien que déjà ils crussent en lui. Voici le texte évangélique : « Plusieurs crurent en son nom, à la vue des miracles qu’il opérait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux ; et il n’avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait ce qui était dans l’homme[3] ». Voilà donc des hommes qui déjà croyaient en Jésus-Christ, et à qui il ne se fiait pas. Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas encore régénérés dans l’eau et le Saint-Esprit. C’est le motif qui nous a portés déjà et qui nous porte encore à exhorter nos frères les catéchumènes à ne pas différer leur baptême. Car, si tu les interroges, tu verras qu’ils croient déjà en Jésus-Christ ; mais comme ils n’ont pas encore reçu la chair et le sang de Jésus-Christ, il ne se fiait pas encore à eux. Qu’ont-ils à faire pour que Jésus-Christ se fie à eux ? Qu’ils renaissent de l’eau et du Saint-Esprit. L’Église les a engendrés, qu’elle les mette au monde. Déjà ils sont conçus, qu’ils apparaissent à la lumière, l’Église a des mamelles qui les nourriront ; qu’ils ne craignent pas d’être étouffés après leur naissance ; qu’ils ne s’éloignent pas du sein maternel.

4. Aucun homme ne peut rentrer dans le sien de sa mère pour en sortir à nouveau ; mais quelqu’un, je ne sais qui, est-il né de la servante ? Est-ce que les enfants que les patriarches ont eus autrefois de leurs servantes sont rentrés dans le sein des femmes libres, pour naître une seconde fois ? Ismaël lui-même est venu d’Abraham, et si ce patriarche a eu le pouvoir de se donner un fils par l’intermédiaire de la servante, c’est l’épouse qui le lui donne. C’est l’époux qui engendre Ismaël, sinon de son épouse, du moins d’après son consentement[4]. Est-ce pour être né de la servante qu’Ismaël s’est vu déshérité ? Mais, s’il avait été déshérité en raison de sa naissance, aucun enfant de servante n’aurait été admis à l’héritage. Les enfants de Jacob ont hérité de leur père ; quant à Ismaël, s’il a été déshérité, ce n’est point parce qu’il est né de la servante, c’est à cause de son orgueil envers sa mère et envers le fils de sa mère. Car Sara était sa mère bien plus qu’Agar. L’une a prêté son sein, l’autre a donné son consentement Abraham n’eût pas agi sans le consentement de Sara ; Ismaël est donc plutôt le fils de Sara, que celui d’Agar. Mais parce qu’il a été orgueilleux envers son frère, et orgueilleux en jouant avec lui, c’est-à-dire en se jouant de lui, que dit Sara ? « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac[5] ». Ce n’est donc pas sa naissance de condition servile, mais son orgueil qui l’a fait déshériter ; eût-il été libre, il lui suffisait d’être orgueilleux pour devenir esclave, et, qui pis est, pour devenir esclave d’une méchante maîtresse, de l’orgueil. C’est pourquoi, mes frères, à celui qui vous demanderait si un homme peut naître de nouveau, répondez hardiment : Non. Toute réitération est un jeu, toute réitération est une tromperie. Ismaël joue ; chassez-le. Sara les ayant vus jouer ensemble, dit à Abraham : « Chasse la servante et son fils ». Ce jeu des enfants déplut à Sara ; sans doute elle aperçut dans ce jeu quelque nouveauté les mères ne désirent-elles pas voir jouer leurs enfants ? Celle-ci les vit jouer, et elle désapprouva leur jeu. J’ignore ce qu’elle vit en ce jeu, elle y vit quelque tromperie, elle remarqua l’orgueil du fils de la servante, le fit chasser. Les enfants des servantes sont chassés lorsqu’ils sont méchants. Ainsi en est-il encore d’Esaü, le fils de la femme libre. Que personne donc ne se rassure en s’appuyant sur ce prétexte, qu’il est né d’un homme de bien ou qu’il a

  1. Ex. 3, 6, 15
  2. Gen. 22, 18
  3. Jn. 2, 23-25
  4. Gen. 16, 2-4
  5. Id. 21, 9-10