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ne sera pas héritier avec mon fils Isaac[1] ». Nous cherchons en quel endroit de l’Écriture se lisent ces paroles, afin de voir si, avant de jouer, Ismaël s’était livré à quelque voie de fait à l’égard d’Isaac ; et nous remarquons que Sara a parlé ainsi pour avoir vu les enfants jouant ensemble. Ce qu’a vu Sara et ce que l’Écriture appelle un jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Combien davantage vous persécutent ceux qui vous séduisent en se jouant de vous ; qui vous disent : Viens, viens ; fais-toi baptiser chez nous ; chez nous se trouve le vrai baptême. Ne joue pas, il n’y a qu’un vrai baptême ; c’est un jeu : tu t’y laisseras prendre et il te fera beaucoup de mal. Il vaudrait mieux pour toi gagner Ismaël et lui faire mériter une part dans le royaume. Mais Ismaël fait la sourde oreille, parce qu’il veut jouer. Pour toi, garde l’héritage de ton père et sois attentif à ces paroles : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac ».
13. Les hérétiques osent soutenir que les rois ou les princes catholiques leur font d’ordinaire souffrir persécution. Quelle persécution endurent-ils ? Quelques châtiments corporels. En ont-ils réellement enduré, et jusqu’à quel point ? C’est à eux de le savoir et de consulter à cet égard leur conscience. Quoi qu’il en soit, supposons qu’ils aient eu à endurer des peines corporelles, la persécution qu’ils font souffrir est bien autrement cruelle. Prends-y garde ; quand Ismaël veut jouer avec Isaac, quand il te flatte, quand il te fait l’offre d’un autre baptême, réponds-lui : J’ai déjà le baptême, Si ce baptême est véritable, celui qui veut t’en donner un autre veut se jouer de toi. Mets-toi en garde contre le persécuteur de ton âme. Ce que les Donatistes ont pu quelquefois souffrir de la part des princes catholiques, c’est dans leur corps qu’ils l’ont souffert, on n’a pas persécuté leur âme en lui imposant l’erreur. Écoutez et voyez, dans ce qui a eu lieu autrefois, le signe et l’indice de ce qui devait arriver plus tard ; Nous voyons que Sara frappe Agar, Sara était libre. Agar la servante ayant voulu regimber, Sara s’en plaignit à Abraham et lui dit : « Chasse la servante, elle s’est montrée insolente envers moi ». Et comme si Abraham y était pour quelque chose, elle se plaignit de lui. Abraham tenait à sa servante, non par amour du désordre, mais uniquement par désir d’avoir des enfants, Sara la lui ayant donnée pour cette fin. Il répondit : « C’est ta servante, fais-en ce que tu voudras ». Et Sara la châtia rudement, en sorte qu’Agar s’enfuit de devant sa face. La femme libre châtie la servante, et l’Apôtre ne donne pas au châtiment le nom de persécution. Le fils de la servante joue avec son maître, et ce jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Le châtiment infligé par la maîtresse ne s’appelle point persécution, et le jeu du serviteur est qualifié de cette dénomination. Qu’est-ce qui vous en semble, mes fières ? Ne comprenez-vous pas ce que cela signifiait ? Ainsi quand il plaît à Dieu d’animer les puissances contre les hérétiques, les schismatiques et contre ceux qui veulent ruiner l’Église, qui essaient de faire disparaître Jésus-Christ, qui blasphèment son baptême, que nul ne s’en étonne. C’est Dieu qui excite Sara à châtier Agar. Qu’Agar se reconnaisse, qu’elle s’humilie ; en effet, lorsqu’Agar se fut humiliée et qu’elle eut quitté sa maîtresse, un ange vint se présenter à elle et lui dire : « Que fais-tu, Agar, servante de Sara ? » Et comme elle se plaignait de sa maîtresse, que lui répondit l’ange ? « Retourne à ta maîtresse [2] ». On la châtie donc, mais c’est pour la contraindre à revenir ; plaise à Dieu qu’elle revienne, car alors son enfant, comme les enfants de Jacob, entrera en possession de l’héritage conjointement avec ses frères.
14. Les hérétiques s’étonnent de ce que les princes chrétiens se déclarent contre ces hommes détestables qui veulent détruire l’Église. De bonne foi, pourraient-ils demeurer tranquilles ? Mais alors, comment rendre compte à Dieu de l’exercice de leur puissance ? Que votre charité remarque ce que je vais dire, à savoir que c’est une obligation imposée aux princes par leur titre de chrétiens, de donner pendant leur règne la paix temporelle à leur mère la sainte Église, puisqu’elle leur a donné la vie spirituelle. Lisons le récit des visions et des actions prophétiques de Daniel. Les trois jeunes gens louent le Seigneur au milieu des flammes, le roi Nabuchodonosor s’étonne de les entendre chanter les louanges du Seigneur et de voir les flammes s’élever inoffensives autour d’eux. Dans un sentiment de l’admiration, que dit le roi Nabuchodonosor ? Je ne parle ici ni d’un juif, ni d’un circoncis ; je parle de celui-là même qui avait tait élever sa statue, et qui avait forcé tout le monde à l’adorer. Profondément ému par le cantique des trois enfants, témoin de la puissance divine qui se manifestait jusque dans la fournaise, que dit-il ? « Je ferai un décret pour tous les peuples et toutes les nations de mon empire ». Quel décret ? « Quiconque blasphémera le Dieu de Sidrac, de Misach et d’Abdénago, sera mis à mort et sa maison ravagée[3] ». Tel fut l’acte de sévérité accompli par ce roi étranger, pour empêcher le blasphème contre le Dieu d’Israël ; car il l’avait vu préserver des atteintes du feu

  1. Gen. 21, 9-12 ; Galat. 4, 29, 30
  2. Gen. 16, 5-9
  3. Dan. 3,1 suiv.