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ceux qui nous suivront. Adam, ou le genre humain, est châtié, et beaucoup sont endurcis au point de ne pas sentir leurs plaies. Mais ceux de la race humaine, qui sont devenus enfants de Dieu, ont recouvré le sentiment de la douleur ; ils sentent qu’on les frappe, ils savent qui les fait frapper ; ils lèvent les yeux vers lui, qui habite les cieux ; ils fixent les yeux sur les mains du Seigneur, jusqu’à ce qu’il les prenne en pitié, comme Les serviteurs sur les mains de leurs maîtres, comme la servante sur les mains de sa maîtresse. Vous voyez en ce monde quelques heureux qui rient et s’applaudissent ; ils ne sont point frappés, ou plutôt, ils sont châtiés plus sévèrement, et d’autant plus sévèrement qu’ils le sentent moins. Qu’ils s’éveillent, et soient frappés, qu’ils sentent qu’on les frappe, qu’ils le sachent, et qu’ils se plaignent d’être frappés. « Car, celui qui multiplie la science, multiplie la douleur[1] », a dit l’Écriture. De là cette parole du Seigneur dans l’Évangile : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés[2] ».
7. Écoutons donc la parole d’un homme que l’on châtie, et nous-mêmes parlons par sa bouche, quand même nous serions heureux. Qui ne sent point qu’on le châtie, quand il est malade ou en prison, quand il est dans les chaînes, quand il tombe entre les mains des voleurs ? Il se sent frappé quand les méchants lui suscitent quelque chagrin. C’est un grand sentiment qui nous fait comprendre que nous sommes frappés, lors même que nous sommes heureux. L’Écriture ne dit point au livre de Job que la vie humaine est pleine de tentations, mais bien : « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une tentation[3] ? » C’est donc la vie tout entière qu’il appelle une tentation. Donc ta vie entière, ici-bas, ce sont là tes plaies. Pleure donc tout le temps que tu vis ici-bas, soit dans la prospérité, soit dans quelque tribulation dis alors : « J’ai levé mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel ». Tiens-les fixés sur cette main du Seigneur qui t’a condamné au châtiment, et à qui tu dis dans un autre psaume « Vous avez châtié l’homme u à cause de son iniquité, et vous avez fait sécher mon âme comme l’araignée[4] ». Crie vers la main qui te frappe, et dis « Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ». N’est-ce point là le cri de l’homme que l’on frappe : « Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ? »
8. « Car depuis longtemps nous sommes sous le poids du mépris. Notre âme est étrangement accablée, insultée par le riche, regardée d’en haut par l’orgueilleux ». Or, regarder de haut, c’est mépriser. Mais tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, doivent souffrir persécution de la part de ceux qui dédaignent de vivre dans la piété, et dont tout le bonheur est sur la terre. On sent de ceux qui appellent bonheur ce qu’ils ne sauraient voir des yeux, on leur dit : À quoi bon croire, ô insensé ? As-tu vu ce que tu crois ? Quelqu’un est-il revenu d’outre-tombe te dire ce qui s’y passe ? Pour moi, je vois ce que j’aime, et j’en jouis. On te méprise, ô chrétien, parce que tu crois ce que tu ne vois point, et celui-là te méprise qui tient en quelque sorte ce qu’il voit. Mais écoute s’il le tient réellement : ne te trouble point, vois s’il le tient en effet ; qu’il ne t’insulte pas ; et de peur qu’en le croyant heureux ici-bas tu ne viennes à perdre le bonheur éternel ; ne te trouble pas, vois s’il le tient. Ou ce qu’il tient lui échappe, ou il échappe à ce qu’il tient. Car il faut, de toute nécessité, ou qu’il échappe à ses biens, et qu’il passe, ou que ses biens lui échappent. À qui les biens échappent-ils ? À celui qui en est dépouillé pendant sa vie. Qui est-ce qui échappe à ses biens ? Celui qui meurt au milieu des richesses ; car, en mourant, il ne les emporte point avec lui au-delà du tombeau. Un homme dit fièrement : Ma maison est à moi. Quelle maison, lui dis-tu ? Celle que mon père m’a laissée. Et lui, d’où avait-il cette maison ? de mon aïeul qui la lui a laissée. Va jusqu’au bisaïeul, jusqu’aux ancêtres, et bientôt tu ne saurais plus dire tant de noms. N’es-tu pas effrayé de voir que cette maison a passé par tant de maîtres, et que nul ne l’a emportée avec soi dans la demeure éternelle ? Ton père l’a laissée ici-bas, il a passé en elle, et toi, tu passeras de même. Ainsi donc, vous ne faites que passer par votre maison, qui est l’hôtellerie des passants, non l’habitation de ceux qui demeurent. Et cependant, parce que nous espérons ce qui est à venir, et que nous aspirons à un bonheur futur, et que ne paraît point encore ce que nous devons être un jour, bien

  1. Eccl. 1,18
  2. Mt. 5,5
  3. Job. 7,1
  4. Ps. 38,12