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envoyé à toutes les nations ? Le voici : les Juifs venaient à lui pour être baptisés ; afin de les empêcher de s’enorgueillir du nom d’Abraham qu’ils portaient, il leur dit : « Race de vipères, qui vous a enseigné à fuir la colère prête à venir ? faites donc de dignes fruits de pénitence » ; c’est-à-dire, soyez humbles. En effet, il parlait à des orgueilleux. D’où leur venait leur orgueil ? De ce qu’ils descendaient d’Abraham selon la chair, et non point de ce qu’ils imitaient sa conduite. Aussi, quel langage leur tient-il ? « Ne dites pas : Nous avons pour père Abraham. Car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants d’Abraham [1] ». Il donnait aux nations le nom de pierres, non qu’elles en eussent la solidité, comme cette pierre mise au rebut par ceux qui bâtissaient mais parce qu’elles étaient endurcies dans la sottise et l’imbécillité. N’étaient-elles pas, en effet, devenues pareilles aux pierres qu’elles adoraient ? Pourquoi avaient-elles perdu le sens ? Parce qu’il est dit dans un psaume : « Qu’ils deviennent semblables aux idoles, ceux qui les font et ceux qui mettent en elles leur confiance [2] », Aussi, quand les hommes ont commencé à adorer le Dieu véritable, que leur recommande-t-on ? « Soyez les enfants de votre Père qui est au ciel et qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes [3] ». Si donc l’homme devient semblable à ce qu’il adore, que veulent dire ces paroles : « Dieu peut susciter de ces pierres des enfants d’Abraham ? » Interrogeons-nous nous-mêmes, et remarquons que ce fait est accompli en nous. Nous sommes sortis des rangs des Gentils ; or, nous n’en serions jamais sortis, si Dieu n’avait fait sortir de ces pierres des enfants d’Abraham. Nous avons été faits enfants d’Abraham, parce que nous avons imité sa foi, et non parce que nous descendons de lui selon sa chair. Comme les Juifs ont dégénéré de cette foi, ils ont été exclus de l’héritage, et si, nous autres, nous avons été adoptés, c’est que nous avons marché sur ses traces. Ainsi, mes frères, la prophétie représentée par la sixième urne était relative à toutes les nations. C’est pourquoi il est dit de toutes les urnes : « Elles contenaient deux ou trois mesures ».
17. Mais comment montrer que toutes les nations étaient désignées par ces termes « Deux ou trois mesures ? » En réduisant au nombre de deux les mesures qu’il disait être au nombre de trois, il y avait de la part de l’Évangéliste une sorte d’évaluation. Par là, l’écrivain sacré voulait nous signaler un mystère. Pourquoi donc « deux mesures ? » Pour désigner la circoncision et l’incirconcision. L’Écriture fait mention de cette division des peuples en deux classes, et elle n’en omet aucun lorsqu’elle dit : « La circoncision et l’incirconcision [4] » Sous cette double dénomination sont donc comprises toutes les nations : voilà les deux mesures. C’est pour unir en sa personne ces deux murailles venues de côtés opposés, que Jésus-Christ est devenu la pierre de l’angle[5]. Montrons aussi qu’à ces mêmes nations, sans exception aucune, ont aussi trait les trois mesures. Noé avait trois fils, par eux a été renouvelé le genre humain [6] ; c’est ce qui a fait dire à Notre-Seigneur : « Le royaume des cieux est semblable à un levain qu’une femme prend et mêle à trois mesures de farine jusqu’à ce que toute la pâte soit levée [7] ». Quelle est cette femme, sinon la chair du Seigneur ? Quel est ce levain, sinon l’Évangile ? Quelles sont ces trois mesures, sinon toutes les nations à cause des trois fils de Noé ? Donc, « les six urnes renfermant deux ou trois mesures », sont les six âges du monde, et ces âges ont chacun leur prophétie particulière concernant toutes les nations ; qu’on les partage en deux catégories, les Juifs et les Grecs, comme les appelle souvent l’Apôtre[8], ou en trois, à cause des trois fils de Noé, peu importe. Cette prophétie en figure s’étendait à toutes les nations, et c’est même parce qu’elle devait s’étendre à elles toutes que cette prophétie est appelée une mesure. Ainsi l’Apôtre a dit : « Nous avons reçu la mesure de nous étendre jusqu’à vous[9] » Annoncer l’Évangile aux Gentils, c’est là ce qu’il appelle : « la mesure de s’étendre jusqu’à vous ».

  1. Mt. 3, 7-9
  2. Ps. 113, 8
  3. Mt. 5, 45
  4. Col. 3, 11
  5. Eph. 2,14-20
  6. Gen. 5, 31
  7. Lc. 13, 21
  8. Rom. 2, 9 ; 1 Cor. 1, 24
  9. 2 Cor. 10, 13