Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

du mal nous entraîne à l’abîme. Mais comme un désir dépravé nous a déjà fait tomber il nous reste, si nous connaissons celui qui est, non point tombé, mais descendu vers nous, à nous attacher à lui pour nous relever, ce qui nous est impossible par nos propres forces. Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a dit lui-même : « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel[1] ». Il semble ne parler ainsi que de lui seul. Les autres sont donc demeurés ici-bas, puisque celui-là seul est remonté, qui seul était descendu. Que doivent faire les autres ? S’unir à son corps, afin de ne faire qu’un même Christ, qui est descendu, puis remonté. La tête est descendue, elle remonte avec le corps ; le Christ s’est revêtu de son Église, qu’il a rendue sans tache et sans ride[2]. Seul donc il est remonté. Mais lorsque nous sommes unis à lui de manière à devenir ses membres, il n’est plus avec nous qu’un même Christ, un et toujours un. L’unité nous joint à celui qui est un. Il n’y a donc, pour ne point monter avec lui, que ceux qui n’ont point voulu s’unir à lui. Maintenant que ce chef est au ciel, qu’il est immortel après avoir ressuscité cette chair qui l’a un instant assujetti à la mort, et que dans le ciel il n’est plus en butte aux persécutions, ni aux violences, ni aux outrages, comme il a daigné s’y soumettre sur la terre, il a pris en pitié son corps militant sur la terre, et a dit « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[3] ? » Nul ne le touchait, et cependant il criait du ciel qu’il souffrait persécution. Ne nous décourageons donc point, raffermissons au contraire notre confiance, puisque, s’il nous est uni sur la terre par la charité, cette même charité nous unit à lui dans le ciel. Nous avons montré comment il est avec nous sur la terre ; nous avons fait retentir ce cri du ciel : « Saul, Saul, pourquoi mie persécuter ? » Comment pouvons-nous montrer que nous sommes avec lui dans le ciel ? Par le témoignage du même saint Paul, qui nous dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; ayez du goût pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ[4] ». Jésus-Christ donc est encore sur la terre, et déjà nous sommes dans le ciel. Il est ici-bas par une charité compatissante, nous sommes en haut par la charité qui espère. « Car c’est l’espérance qui nous sauve[5] ». Mais, comme notre espérance est certaine, ce qui n’est encore qu’un avenir s’affirme à notre sujet comme s’il était accompli.
2. Qu’il monte alors, celui qui chante notre psaume. Mais qu’il chante dans le cœur de chacun de vous, et que chacun de vous soit cet homme. Quand chacun de vous le récite, comme vous ne formez qu’un seul homme en Jésus-Christ, c’est un seul homme qui parle ; aussi n’est-il point dit : « Seigneur, nous avons levé les yeux vers vous », mais bien : « Seigneur, j’ai levé les yeux vers vous[6] ». Il faut donc vous figurer que c’est chacun de vous qui parle, mais que le principal interlocuteur est cet homme répandu dans l’univers entier. C’est cet homme unique qui a dit ailleurs : « J’ai crié vers vous des confins de la terre, alors que mon cœur était dans l’angoisse[7] ». Qui donc pousse des cris des confins de la terre ? Quel est cet homme unique répandu jusqu’aux extrémités de la terre ? Chaque homme peut crier vers le Seigneur, de l’endroit où il se trouve ; mais le peut-il des confins de la terre ? Or, l’héritage du Christ, dont il est dit : « Je vous donnerai les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour votre possession[8] », cet héritage pousse maintenant des cris : « Des confins de la terre, j’ai crié vers vous, quand mon cœur était dans l’angoisse ». Que notre cœur soit donc dans l’angoisse, et qu’il pousse des cris. D’où viendra notre angoisse ? Non point des maux qu’endurent les méchants eux-mêmes, comme des pertes qui nous arrivent. Serait-il autre que la cendre, si de pareils sujets l’inquiétaient ? Qu’y a-t-il de si grand que ton cœur soit dans l’angoisse, parce qu’il a plu à Dieu de t’enlever quelqu’un des tiens ? Les infidèles n’éprouvent-ils pas ces sortes d’angoisses, ceux qui ne croient pas encore en Jésus-Christ ? Qu’est-ce donc qui afflige un cœur chrétien ? C’est de ne point vivre encore avec le Christ. Qu’est-ce qui afflige un cœur chrétien ? C’est d’errer ici-bas, de soupirer après la patrie. Si c’est là pour ton cœur un sujet de tristesse, tu gémiras quand même tu serais heureux selon le monde ; en vain tu posséderais tous les biens, en vain le monde aurait de toutes

  1. Jn. 3,13
  2. Eph. 5,27
  3. Act. 9,4
  4. Col. 3,1-3
  5. Rom. 8,24
  6. Ps. 122,1
  7. Id. 60,3
  8. Id. 2,8