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celui-là gémit, et aussi longtemps qu’il gémit pour ce motif il gémit bien, l’Esprit-Saint lui a enseigné à gémir, la colombe lui a appris à le faire. Car plusieurs gémissent plongés dans les malheurs de cette vie, brisés par les pertes, accablés par les maladies, enfermés dans les prisons, retenus par des chaînes, battus sur les flots par la tempête, ou embarrassés dans les pièges que leur tendent leurs ennemis ; ils gémissent donc, mais ils ne gémissent pas du gémissement de la colombe et par l’amour de Dieu, en esprit. Aussi, lorsque de tels gens se voient sortis de l’épreuve, ils poussent de grands cris de joie, d’où il paraît bien qu’ils étaient des corbeaux, et non des colombes. Aussi, lorsque le corbeau fut mis hors de l’arche, il ne revint pas ; la colombe au contraire y revint. Noé envoya hors de l’arche ces deux sortes d’oiseaux [1]. Il avait sous la main un corbeau, il avait aussi une colombe ; car l’arche renfermait ces deux espèces d’animaux : et s’il est vrai que l’arche figurait l’Église, vous le voyez facilement, c’est nécessaire que dans le déluge du siècle l’Église renferme tout à fois le corbeau et la colombe. Qui sont les corbeaux ? Ceux qui cherchent leurs intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ [2].
3. C’est pourquoi, lorsque Dieu a envoyé l’Esprit-Saint, il l’a montré visiblement en deux manières, par la colombe et par le feu. Par la colombe, sur le Seigneur après son baptême ; par le feu, sur les Apôtres réunis. En effet, lorsque le Seigneur eut passé quarante jours avec ses disciples et qu’il fut remonté au ciel après sa résurrection, il leur envoya, le jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint qu’il leur avait promis. Venant alors, l’Esprit remplit le lieu où ils étaient ; d’abord un grand bruit, pareil au bruit d’un vent violent, se fit entendre du ciel, ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres ; et « il parut des langues comme de feu qui se divisèrent et reposèrent sur chacun d’eux, et ils se mirent à s’exprimer en diverses langues selon que « l’Esprit leur donnait de parler[3] ». D’un côté, nous avons vu la colombe descendre sur le Seigneur, de l’autre les langues de feu se partager sur les Apôtres réunis ; d’un côté la simplicité, de l’autre la ferveur. Car il y en a qui passent pour simples et qui sont paresseux ; on appelle simples des personnes qui en réalité sont nonchalantes. Tel n’était pas Étienne, cet homme rempli du Saint-Esprit. Il était simple, parce qu’il ne nuisait à personne ; il était fervent, parce qu’il gourmandait les impies. En effet, il ne garda pas le silence devant les Juifs. De lui sont ces paroles de feu : « Cœurs et oreilles incirconcis, vous avez toujours résisté au Saint-Esprit ». Paroles grandement impétueuses ; toutefois, même en sévissant, la colombe n’y met pas de fiel. Voici la preuve qu’elle n’y mettait pas de fiel. Les Juifs, qui étaient des corbeaux, ayant entendu ces paroles, coururent aussitôt aux pierres pour écraser la colombe ; Étienne commence à être lapidé ; tout à l’heure, sous l’émotion et la ferveur de son esprit, il avait fait sur eux comme sur des ennemis cette sortie impétueuse ; sa violence apparente s’était emportée en ces paroles de flamme et de feu que vous avez entendues : « Têtes dures, « cœurs et oreilles incirconcis ». C’était au point que celui qui les aurait entendues se serait imaginé que si Étienne l’avait pu il les aurait fait passer par le feu ; néanmoins, lorsque les pierres lancées par eux vinrent le frapper, il se mit à genoux et s’écria : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché [4] ». Il s’était étroitement attaché à l’unité de la colombe. Ainsi avait agi le premier le maître sur lequel est descendue la colombe. Cloué à la croix, il dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font [5] ». La colombe signifie que les fidèles sanctifiés par l’Esprit ne doivent pas user de ruse, et le feu, que leur simplicité ne doit pas être de glace. Or, ne sois pas effrayé de la division des langues. Les langues sont à une certaine distance les unes des autres ; c’est pourquoi l’Esprit-Saint est apparu sous forme de langues divisées : « Des langues comme de feu se divisèrent et se reposèrent sur chacun d’eux ». Les langues sont distantes les unes des autres ; mais cette distance des langues les unes par rapport aux autres, n’est pas le schisme. Dans la division des langues ne redoute pas de rencontrer la désunion, sache que dans la colombe se trouve l’unité.
4. Ainsi donc, ainsi fallait-il que se montrât l’Esprit-Saint en venant sur le Seigneur ; car par là chacun doit comprendre que s’il a reçu l’Esprit-Saint il doit être simple comme

  1. Gen. 8, 6-9
  2. Phil. 2, 21
  3. Act. 2, 1-4
  4. Act. 7, 51, 59
  5. Lc. 23, 34