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son Créateur ? Le ciel lui a rendu témoignage par une étoile[1] ; les vents lui ont rendu témoignage, à son ordre ils se sont apaisés[2] ; la terre lui a rendu témoignage, elle a tremblé au moment de sa mort[3] ; la mer lui a rendu témoignage, en portant le Christ, pendant qu’il marchait sur ses flots[4]. Si toutes ces créatures lui ont rendu témoignage, comment peut-on dire que le monde est demeuré sans le reconnaître, si ce n’est que par le monde il faille entendre les amateurs du monde, ceux qui s’y trouvent fixés par leurs affections ? Ainsi mauvais est le monde, parce que mauvais sont ceux qui l’habitent, de même que mauvaise est une maison, non à cause de ses murailles, mais à cause de ceux qui y demeurent.
6. « Il est venu chez soi », c’est-à-dire dans ce qui était à lui, et « les siens ne l’ont pas reçu ». Quelle espérance nous reste-t-il donc si ce n’est que « tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». S’ils deviennent enfants, ils naissent ; s’ils naissent, comment naissent-ils ? « Ce n’est pas de la chair, ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Qu’ils se réjouissent donc, puisqu’ils sont nés de Dieu, qu’ils ne craignent pas de croire qu’ils lui appartiennent ; voici la preuve de leur divine origine : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Si le Verbe n’a pas rougi de naître de l’homme, les hommes rougiraient de devenir les enfants de Dieu ? Ce qu’il a fait, il l’a réparé, parce qu’il l’a fait ; qu’il l’ait réparé, nous en avons la preuve. Parce que « le Verbe s’est fait chair en habitant parmi nous », il est devenu notre remède ; la terre nous aveuglait, c’est par de la terre qu’il nous a guéris. Que voulait-il nous faire voir en nous guérissant ? « Et nous avons vu sa gloire », dit Jean, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité [5] ».
7. « Jean rend témoignage de lui et il crie en disant : Voilà celui dont je vous ai dit : Celui qui vient après moi a été fait avant moi ». Il est venu après moi, et il m’a précédé. Qu’est-ce à dire ? « Il a été fait avant moi ». C’est-à-dire : il m’a précédé, non qu’il ait été fait avant que je n’aie été fait moi-même, mais il m’a été préféré ; voilà ce que signifie : « Il a été fait avant moi ». Comment a-t-il été fait avant toi, puisqu’il n’est venu qu’après toi ? « Parce qu’il était avant moi ». Avant toi, ô Jean ? Qu’y a-t-il d’étonnant, s’il est avant toi ? c’est vraiment chose admirable, puisque tu lui rends témoignage. Écoutons en effet ce qu’il dit de lui-même. « Je suis avant Abraham [6] ». Par sa naissance Abraham a tenu le milieu dans la vie du genre humain ; mais écoute ce que le Père dit à son Fils : « Je t’ai engendré avant Lucifer[7] ». Celui qui a été engendré avant Lucifer éclaire évidemment tous les hommes. On a donné le nom de Lucifer à cette créature déchue de la dignité d’ange et tombée à l’état de démon ; l’Écriture a dit de cet être « Lucifer est tombé, lui qui se levait au point du jour[8] ». Pourquoi lui donner le nom de Lucifer ? Parce qu’il reflétait la lumière qu’il avait reçue d’ailleurs. Comment s’est-il obscurci ? Parce qu’il ne sut pas tenir dans la vérité [9]. Jésus-Christ devait donc avant Lucifer, avant tout, être éclairé. De fait, celui dont la lumière brille dans tous les êtres susceptibles d’être éclairés, celui-là doit nécessairement être avant tout illuminé.
8. Aussi Jean ajoute : « Et nous avons tous reçu de sa plénitude ». Qu’avez-vous reçu ? « Et grâce pour grâce ». Ainsi lisons-nous dans le texte évangélique, copié sur les exemplaires grecs. Il n’est pas dit : nous avons reçu de sa plénitude grâce pour grâce ; mais : « Nous avons tous reçu de sa plénitude et grâce pour grâce », sous-entendu nous avons reçu. L’Évangéliste veut nous donner à entendre que nous avons reçu je ne sais quoi de la plénitude de Jésus-Christ, et en outre grâce pour grâce. De sa plénitude nous avons d’abord reçu la grâce, puis nous avons reçu une grâce nouvelle que l’Évangéliste appelle grâce pour grâce. Quelle est la première grâce reçue ? La foi. Dès lors que nous marchons dans la foi, nous marchons dans la grâce. Par quoi l’avons-nous méritée ? Par quels mérites antécédents ? Que personne ne se flatte, que chacun rentre en soi-même, qu’il scrute ses pensées les plus secrètes, qu’il remonte anneau par anneau la chaîne de ses œuvres, qu’il ne fasse pas attention à ce qu’il est, si tant est qu’il soit déjà quelque chose, mais à ce qu’il

  1. Mt. 2, 2
  2. Id. 8, 27
  3. Id. 27, 51
  4. Id. 14, 26
  5. Jn. 1, 1-14
  6. Jn. 8, 58
  7. Ps. 109, 3
  8. Isa. 14, 12
  9. Jn. 8, 14