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Et le Sauveur : « Ce que vous avez fait au « moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Eh quoi donc, mes frères ? Ceux-là nous jugeront dont le Christ a dit qu’il faut en faire des amis avec la monnaie de l’iniquité, « afin », a-t-il ajouté, « qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels[1] ». Les saints seront assis avec le Sauveur pour examiner ceux qui auront fait miséricorde ; puis ils les prendront, les sépareront à droite pour le royaume des cieux ; telle est, mes frères, la paix de Jérusalem. Quelle est cette paix de Jérusalem ? Elle consiste à joindre les œuvres corporelles de miséricorde aux œuvres spirituelles de la prédication, afin d’établir la paix entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. L’Apôtre qui nous dit que Dieu tiendra compte de ces aumônes que l’on donne et qu’on reçoit, ajoute ceci : « Si nous avons semé chez vous u les biens spirituels, est-ce donc trop de recevoir vos biens temporels[2]? » Et ailleurs encore sur le même sujet : « Celui qui en recueillit beaucoup n’en eut pas plus que les autres, et celui qui en recueillit peu n’en eut pas moins[3] ». Pourquoi le premier n’en eut-il pas davantage ? Parce qu’il donna au pauvre ce qu’il avait de plus. Dans quel sens celui qui recueillit peu n’en eut-il pas moins ? Parce qu’il reçut de celui qui avait en abondance. « Afin », dit-il, « que tout soit dans l’égalité ». Telle est la paix dont il est dit « Que la paix s’établisse dans votre force ».
10. Après avoir dit : « C’est là que s’assiéront les sièges pour le jugement, les sièges sur la maison de David », c’est-à-dire sur la famille du Christ, qu’ils ont soutenue par l’alimentation ici-bas, aussitôt le Prophète s’écrie, comme en s’adressant à ces sièges mêmes : « Interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem[4] ». O vous, sièges qui êtes assis pour juger, qui êtes les trônes du souverain juge, comme ceux qui jugent interrogent, et ceux que l’on j tige sont Interrogés ; eh bien ! « interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem ». Que trouveront-ils en interrogeant ? Que les uns ont fait miséricorde, et que les autres ne l’ont point faite. Et ceux qu’ils trouveront avoir fait miséricorde, ils les appelleront à Jérusalem, car voilà ce qui produit la paix, dans la Jérusalem du ciel. L’amour est puissant, mes frères, oui, l’amour est puissant. Voulez-vous voir combien est grande la puissance de l’amour ? Quand un homme enchaîné par la nécessité ne saurait accomplir ce que Dieu lui commande, qu’il aime celui qui l’accomplit, et dès lors il l’accomplit dans cet autre. Écoutez, mes frères ; voilà un homme qui a une femme, et qu’il ne saurait quitter, puisqu’il doit obéir à ces injonctions de l’Apôtre : « Que l’homme rende à sa femme ce qu’il lui doit » ; et encore : « Es-tu lié à une femme ? ne cherche pas à t’en séparer ». Or, il lui vient en pensée qu’il est plus parfait de vivre comme le dit le même Apôtre : « Je voudrais que vous fussiez tous comme je suis[5] ». Il jette les yeux sur ceux qui ont agi de la sorte ; il les aime, et accomplit en eux ce que de lui-même il ne saurait faire, tant la charité a de puissance ! C’est la charité qui est votre force ; car, sans la charité, tout ce que nous pouvons avoir ne nous sert de rien. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges », dit l’Apôtre, « si je n’ai point la charité, je suis comme un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Il ajoute cette grave parole « Quand je distribuerais aux pauvres toutes mes richesses, que je livrerais mon corps pour être brûlé ; si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien[6] ». S’il n’a que la charité sans rien pouvoir distribuer aux pauvres, qu’il aime, qu’il donne, ne serait-ce qu’un verre d’eau froide[7] ; il lui sera compté comme cette moitié de ses biens que Zachée donnait aux pauvres[8]. Pourquoi ? L’un donne si peu, l’autre de si grands biens, et tous deux seront également traités ? Oui, également. Les dons sont inégaux, la charité est égale.
11. Les saints donc interrogent ; pour vous, pensez à ce que vous êtes. Voilà qu’on nous l’a dit : « Nous irons dans la maison du Seigneur ». Cette parole : « Nous irons dans la maison du Seigneur », nous a fait tressaillir. Voyez si nous sommes pour y aller ; car ce n’est point avec nos pieds, mais bien par nos affections que nous pouvons y aller. Voyez donc si nous sommes pour y aller ; que chacun de vous examine sa conduite envers les saints qui sont pauvres, envers un frère indigent, envers un pauvre mendiant ; qu’il voie si ses entrailles ne sont point resserrées. Car les trônes assis pour te juger vont te sonder ;

  1. Lc. 16,19
  2. 1 Cor. 9,11
  3. 2 Cor. 8,15
  4. Ps. 121,6
  5. 1 Cor. 7,3.7-27
  6. Id. 13,1-3
  7. Mt. 10,42
  8. Lc. 19,8