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sans un corps mortel, il s’est revêtu de ce qui lui permettait de mourir pour toi, il te revêtira de ce qui te fera vivre avec lui. Où s’est-il revêtu de la mort ? Dans la virginité de sa mère. Où te revêtira-t-il de la vie ? Dans son égalité avec le Père. C’est là qu’il s’est choisi dans la chasteté le lit nuptial où l’Époux devait s’unir à l’Épouse. Le Verbe s’est fait chair[1], afin d’être le chef de l’Église. Car le Verbe ne fait point partie de l’Église ; mais pour en devenir le chef, il s’est revêtu d’une chair. Déjà est dans le ciel cette partie de nous-mêmes, ce corps qu’il a pris ici-bas, et dans lequel il est mort, dans lequel il a été crucifié. Tes prémices t’ont déjà devancé au ciel, et tu n’oses croire que tu suivras ?
9. Que le Prophète maintenant descende vers les créatures terrestres, après avoir invité celles du ciel. « Louez le Seigneur, créatures de la terre[2] ». Où avait-il commencé plus haut ? Louez le Seigneur du haut des cieux, et alors il énumère les créatures célestes. Écoute maintenant celles de la terre : « Dragons et tous les abîmes ». Les abîmes sont de grandes profondeurs d’eau : on nomme abîmes toutes les mers, et cet air où se forment les nuages. Ce vaste champ des nuages, des vents, des tempêtes, des pluies, des éclairs, du tonnerre, de la grêle, des neiges, et tout ce qu’il plaît à Dieu d’envoyer sur la terre du haut de cet air ténébreux et humide, tout cela s’appelle terre, parce qu’il est changeant et périssable. À moins que vous ne pensiez que la pluie se forme au-dessus des étoiles. Tout cela néanmoins se produit tout près de la terre. Il arrive quelquefois que des hommes s’élèvent sur de hautes montagnes, et voient les nues au-dessous d’eux et la pluie se former à leurs pieds ; et quand on considère attentivement tous ces phénomènes que produit le trouble des airs, on reconnaît que tout cela se forme dans cette basse région du monde. Aussi ce fut à ces ténèbres, ou à ces régions de l’air comme à une prison, que fut condamné le diable précipité des hautes régions des anges avec tous ses complices. Voici ce que dit l’Apôtre à son sujet : « Selon le prince des puissances de l’air, qui exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion[3] ». Un autre Apôtre a dit : « Si Dieu n’a point pardonné aux anges qui ont péché, s’il les a précipités dans les prisons d’un enfer ténébreux, se réservant de les punir au dernier jugement[4] » ; il nomme alors enfer la partie inférieure de la terre. Sans nous arrêter en effet à ce qu’a reçu le diable, voyons ce qui l’a perdu. Toutes ces choses donc que vous voyez telles qu’elles, troublées, inconstantes, effrayantes, corruptibles, ont cependant leur place, leur ordre dans cet univers, contribuent pour leur part à sa beauté, et dès lors bénissent le Seigneur. C’est pourquoi le Prophète les prend à partie et les exhorte à louer Dieu, ou plutôt c’est nous-mêmes qu’il exhorte à le bénir par la considération de ces choses ; car elles louent le Seigneur en portant à le louer ceux qui les considèrent. « Louez Dieu, créatures de la terre », dit le Prophète, « dragons et tous les abîmes ». Les dragons se tiennent le long des eaux, s’élancent de leurs cavernes, rôdent dans les airs qu’agitent leurs mouvements. Ce sont d’effroyables bêtes, la terre n’en a pas de plus grandes. Aussi le Prophète commence par ces créatures : « Dragons et tous les abîmes ». Il y a comme des cavernes ou amas d’eaux cachées, d’où s’élancent les fontaines et les fleuves ; les uns sortent pour couler sur terre, et d’autres coulent invisiblement sous terre. Toutes ces eaux, tous ces éléments humides, avec les mers et les couches inférieures de l’air, prennent le nom d’abîmes ; c’est là qu’habitent les dragons qui louent le Seigneur. Croirons-nous cependant qu’ils forment des concerts pour louer Dieu ? Loin de là. Mais vous qui considérez les dragons et vous reportez à Celui qui les a formés, au créateur des dragons, vous vous écriez en admirant leurs vastes proportions : Combien est grand le Dieu qui a fait ces choses ; et les dragons empruntent vos voix pour louer le Seigneur. « Dragons et tous les abîmes ».
10. « Feu, grêle, neige, tourbillons et tempêtes, qui obéissent à sa parole[5] ». Pourquoi ajouter : « qui obéissent à sa parole ? » Des hommes légers, incapables de méditer et de comprendre que toute créature, en son lieu et en son rang, ne peut agir que sous la dépendance et par l’ordre de Dieu qui règle ses mouvements, se sont imaginé que Dieu gouverne seulement les créatures célestes, abandonnant avec dédain les créatures inférieures,

  1. Jn. 1,14
  2. Ps. 148,7
  3. Eph. 2,2
  4. 2 Pi. 2,4
  5. Ps. 148,8