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si nous nous en tenons au strict nécessaire ; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile. Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à l’œuvre de Dieu, et non ce qui suffit à vos désirs ; car votre désir n’est point l’œuvre de Dieu ; mais votre forme, votre âme, votre corps, voilà toute l’œuvre de Dieu. Cherche donc ce qui suffit pour cela, et tu verras qu’il faut peu de chose. Il ne fallut à la veuve de l’Évangile que deux deniers, pour faire une œuvre de miséricorde[1], deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle dépense ne fait point un donneur de spectacles ? Voyez non seulement qu’il faut peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche avec soin ce qu’il t’a donné, prends-en ce qui te suffit ; quant au reste, qui est superflu pour toi, c’est le nécessaire des autres ; le superflu du riche est le nécessaire du pauvre. C’est posséder le bien d’autrui que posséder du superflu.
13. C’est quand tu feras miséricorde, et particulièrement celle-ci que l’on fait gratuitement : « Remettez-nous, comme nous remettons[2] » ; et où l’on ne fait d’autre dépense que celle de la charité, laquelle s’accroît à proportion qu’on la dépense ; c’est, dis-je, quand tu feras avec ferveur des œuvres de miséricorde, bonnes œuvres, avons-nous dit, qui ne seront plus nécessaires dans l’autre vie, puisqu’il n’y aura plus aucun malheureux à qui l’on puisse faire miséricorde[3], c’est alors que tu attendras en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura point fait miséricorde. Et la miséricorde », ajoute le même Apôtre, « l’emporte sur le jugement[4] ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur n’est point juste, ou qu’il s’écarte de la justice, quand il n’a point pitié de nous. Il est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié. Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui l’implore ? Quoi de plus juste aussi, que d’user envers nous de la mesure dont nous nous serons servis[5] ? Donne à ton frère qui a faim. À quel frère ? Au Christ. Si donc faire la charité à ton frère c’est la faire au Christ, et si le Christ est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles[6], c’est un Dieu qui a voulu avoir besoin de toi, et ta main se retire ? Tu tends la main à Dieu pour lui demander : écoute l’Écriture : « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner[7] ». Dieu veut qu’on lui donne de ce qu’il a donné. Que pourrais-tu donner, en effet, qu’il ne t’ait point donné ? « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu[8] ? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est à toi ? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. C’est en agissant de la sorte, et en disant avec humilité de cette huile : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous[9] », que tu entreras, et que la porte ne te sera point fermée. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Peu m’importe d’être jugé par vous[10] ». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience ? Comment verriez-vous l’intention qui me dirige dans toutes mes actions ? Quel jugement les hommes peuvent-ils porter sur un autre homme ? L’homme peut beaucoup mieux se juger, mais Dieu peut mieux encore juger l’homme, que l’homme ne peut se juger lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. C’est ce que nous dit l’Évangile ; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et criant : « Ouvre-nous[11] » ; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur a fortifié les barres de vos portes ». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes ».
14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne sont ni vagabonds au-dehors, ni exilés ; ils s’applaudissent dans ton enceinte, c’est là qu’ils chantent le Seigneur, là qu’ils sont bénis ils n’endurent plus les douleurs de l’enfantement, parce qu’ils n’ont plus à enfanter. Ils sont vos enfants, vos saints ; et ces enfants, ces saints, sont dans l’allégresse, dans la louange ; la charité à ressenti pour eux les douleurs de l’enfantement, et les a enfantés ;

  1. Mc. 12,42
  2. Lc. 6,37 ; Mat. 6,12
  3. Voir Discours sur le Ps. 83, n. 8,11
  4. Jac. 2,13
  5. Mt. 7,2
  6. Rom. 9,5
  7. Sir. 4,36
  8. 1 Cor. 4,7
  9. Mt. 25,9
  10. 1 Cor. 4,2
  11. Mt. 25,11