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viendra te barrer le passage ; mais quand tu seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et l’on en fortifiera les barrières, si tu ne veux pas être vierge de cœur, ou si, quoique vierge, tu prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au-dehors et frapper vainement à la porte.
11. Quelles sont ces vierges folles ? Elles aussi sont au nombre de cinq ; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui gardent la continence de la chair, afin d’éviter la corruption qui nous vient par tous les sens que nous énumérions tout à l’heure ? Elles évitent la corruption, n’importe d’où elle vienne, sans porter dans leur conscience et sous les yeux de Dieu seul, le bien qu’elles font ; elles veulent plaire aux hommes et s’arrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles s’avilissent en voulant plaire à ceux qui les voient ; leur conscience ne leur suffit point. C’est donc avec raison que, selon l’Évangile, elles ne portent pas d’huile avec elles ; car l’huile, à cause de son éclat, de sa netteté, signifie la gloire. Mais que dit l’Apôtre ? Vois dons sa parole ces vierges sages qui portent l’huile avec elles. « Que chacun éprouve son œuvre, et il aura de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre[1] ». Voilà les vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la vérité, leurs œuvres paraissent avec éclat ; mais elles doivent mourir et s’éteindre, parce qu’elles n’ont point d’huile intérieure. Les voilà qui s’endorment toutes parce que l’Époux tarde à venir ; quelle que soit en effet celle de ces deux catégories que choisissent les hommes, ils s’endorment du sommeil de la mort ; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant l’avènement du Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que l’Écriture appelle un sommeil, comme tout chrétien le sait. L’Apôtre dit en effet : « C’est pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont endormis[2] » ; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que l’Époux va venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que s’évanouiront les œuvres de ces vierges folles, qui n’ont point l’huile de la bonne conscience. Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur vendaient la louange. Car il y a de l’ironie plutôt que de la jalousie dans cette parole « Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et leur avaient dit : « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». Que répondent les vierges sages ? « Non, de peur que nous n’en ayons pas suffisamment pour vous et pour nous ; allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous ». C’était leur dire sous la forme d’un avis : De quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange ? « Et pendant qu’elles y allaient », dit l’Évangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la porte fut close[3] ». Pendant qu’elles y vont de cœur, pendant qu’elles s’occupent de ces pensées, qu’elles s’éloignent dans ce dessein, qu’elles se ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui vendent l’huile, et ne les trouvent plus favorables ; elles ne trouvent plus d’applaudissements chez ceux qui les flattaient, elles qui s’excitaient au bien, non par le mouvement d’une bonne conscience, mais par le stimulant des langues étrangères.
12. Cette réponse des vierges sages : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous », témoigne aussi d’un grand sentiment d’humilité. Car l’huile que nous portons dans notre conscience, c’est le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que nous sommes ; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son état. Mes frères, quels que soient les progrès d’un homme dans la vertu ; tant qu’il se jette en avant et oublie ce qui est derrière[4] ; s’il se dit : c’est bien ; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un sévère examen. Or, qui se glorifiera d’avoir un cœur pur ? Qui osera dire qu’il est sans péché[5] ? Mais que dit l’Écriture ? « Il y aura un jugement sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde[6] ». Quels que soient tes progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient tempérer la justice, tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or, quel passage de l’Écriture va nous consoler ? Celui-là même qui nous exhorte à la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car nous avons beaucoup de superflu,

  1. Gal. 6,4
  2. 1 Cor. 11,30
  3. Mt. 25,1-13
  4. Phil. 3,13
  5. Prov. 20,9
  6. Jac. 2,13