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nuage d’ennui. Quelle sera donc alors toute notre œuvre ? De louer Dieu, de l’aimer et de le louer ; de le louer en l’aimant, de l’aimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles[1] ». Pourquoi, sinon parce qu’ils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles ? Pourquoi, sinon parce qu’ils vous verront dans les siècles des siècles ? Quel spectacle pour nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu ! Que les hommes voient un chasseur dans l’amphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces misérables, s’ils ne se corrigent ! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à la vue d’un chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point ? Rien donc d’étonnant qu’ils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, s’il nous souvient que nous sommes ses membres, si nous l’aimions, si nous persévérons en lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses citoyens purifiés on ne trouvera ni séditieux, ni turbulent ; cet ennemi qui nous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne pourra plus nous y tendre des embûches ; on ne lui en permet pas même l’entrée. Si dès ici-bas il est banni du cœur des fidèles, comment ne serait-il point exclu de la terre des vivants ? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que sera-ce d’habiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie ? Préparons nos cœurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son cœur, dédaigne tout ce qui est ici-bas ; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité ce grand jour, dont l’expectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur.
4. Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il nous entretient, et que l’Évangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Évangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons comprendre ; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. L’Évangile donc nous disait : Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de l’avènement du Fils de l’Homme[2] : parce qu’il surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est là une fausse sécurité, puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que j’ai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point ; à ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point ; à ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point ; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point ; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes[3] ». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude ; mais, comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu[4], s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de l’espérance ; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son cœur nourrit une crainte spirituelle, en sorte qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance ; quiconque vend son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux ; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à, celui qui n’a pas, afin de recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient ;

  1. Ps. 83,5
  2. Mt. 24,41
  3. 1 Cor. 7,29-32
  4. Id. 10,31