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explique ce qui est inexplicable, vous le voyez ; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur ; brisez vos cœurs, brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence n’a point de nombre ».
12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Écriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser l’Écriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a voulu, afin de te forcer à frapper à la porte ; il l’a voulu afin de t’exercer quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts[1]. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton cœur, et ton cœur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer ? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer ; crois-en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète ? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes ; mais quels sont ces pécheurs qu’il humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux ? Dire en effet du Seigneur : « Qu’il reçoit les hommes doux et qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre, sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus que des sentiments terrestres ?
13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Écritures qu’on lit dans l’Église, et dont on respecte l’autorité ; qui a osé condamner ce qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au-delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de cette lumière. Or, tout ce que l’on touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Écritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles, voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre ? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher,

  1. Mt. 7,7