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la tribulation ; que son courage ne se laisse point abattre. Le Seigneur l’a dit : « Ne craignez joint ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme, mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer[1] ». Que le Seigneur dès lors garde cette âme, de peur que tu ne sois victime des séductions de l’ennemi, victime de fausses promesses, victime des menaces contre les biens du temps, et que « le Seigneur garde ton âme ».
14. Ensuite « Que le Seigneur garde ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles[2] ». Réfléchis un moment sur ton entrée. « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie, dès ce jour, et jusque dans les siècles ». Qu’il garde aussi ta sortie. Qu’est-ce que l’entrée ? Qu’est-ce que la sortie ? L’entrée pour nous, c’est la tentation ; et ! a victoire sur la tentation, c’est la sortie. Vois cette entrée et cette sortie dans l’Écriture : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation douloureuse les hommes justes[3] ». Si les hommes justes sont comme les vases du potier, il faut que ces vases soient mis dans la fournaise. Et ce n’est point quand ils entrent que le potier se tient assuré, mais quand ils sortent. Quant au Seigneur, il ne craint point, car il connaît ceux qui lui appartiennent’; il connaît ceux qui n’éclateront point dans la fournaise. Ils n’éclatent point, ceux qui n’ont point l’orgueil. C’est donc l’humilité qui nous garde en toute tentation ; car nous montons de la vallée des larmes en chantant le cantique des degrés, et le Seigneur veille sur l’entrée, afin que nous entrions en toute sûreté. Gardons une foi pure dans la tentation, et le Seigneur « gardera notre sortie dès maintenant et jusque dans les siècles ». Quand nous serons sortis de toute épreuve, nulle tentation ne viendra nous effrayer dans l’éternité, nulle convoitise ne nous inquiétera. Écoute l’Apôtre qui nous rappelle ce que nous disions tout à l’heure : « Dieu est fidèle, et ne permettra point que nous soyons tentés au-dessus de nos forces »[4]. C’est ainsi que Dieu veille sur ton entrée quand il écarte de toi l’épreuve à laquelle tu ne pourrais résister, il veille sur ton entrée : voyez s’il ne garde point aussi la sortie. « Mais, poursuit l’Apôtre il donnera une issue à la tentation, afin que vous la puissiez supporter[5] ». Pouvons-nous, mes frères, nous expliquer autrement que ne le fait ici l’Apôtre ! Veillez donc sur vous, mais non par votre propre vigilance, parce que c’est Dieu qui vous protège et qui vous garde, lui qui ne dort point, qui ne sommeille point. Une seule fois, il a dormi pour vous ; il est ressuscité et ne dormira plus. Que nul ne compte sur soi-même. C’est de la vallée des pleurs que nous nous élevons ; ne demeurons pas en chemin. Nous avons encore des degrés à monter ; nous ne devons ni y demeurer par paresse, ni y tomber par orgueil. Disons à Dieu : Que notre pied ne soit point ébranlé ; il ne dormira point celui qui nous garde. Cela est en notre pouvoir, si, avec le secours de Dieu, nous choisissons pour gardien celui qui ne dort pas, qui ne sommeille pas, qui garde Israël. Quel Israël, sinon celui qui voit Dieu ? Ainsi le secours te viendra du Seigneur, ainsi il te protégera sur la main de ta droite, ainsi seront gardées, et ton entrée et ta sortie, dès maintenant et jusque dans les siècles. Si tu présumes de toi-même, ton pied sera ébranlé, et si ton pied est ébranlé, quand même tu te croirais sur quelque degré, tu tomberas à cause de ton orgueil ; car celui qui est humble dans cette vallée des pleurs dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé ».
15. Le psaume était court, et néanmoins voila une longue explication, un long sermon. Imaginez-vous, mes frères, qu’à l’occasion de la fête de sainte Crispine, je vous ai invité à un festin, et que je n’y ai point gardé la tempérance ; je vous ai retenus trop longtemps à table. Cela ne pourrait-il point vous arriver, si quelque homme du monde vous invitait et vous forçait à boire outre mesure ? Qu’il nous soit permis d’en agir ainsi, à propos de la parole divine, afin qu’elle vous enivre et vous rassasie, comme cette pluie du Seigneur vient détremper les terres, et que nous allions avec plus de joie rejoindre les martyrs, comme nous l’avions promis hier. Car les martyrs sont ici-bas avec, nous, sans aucun labeur.

  1. Mat. 10,28
  2. Psa. 120,8
  3. Sir. 27,6
  4. 2Ti. 2,19
  5. 1Co. 10,13