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reçut point ce qu’il semblait demander, afin d’accomplir cette parole du psaume : « Je vous bénirai chaque jour » ; toutefois a-t-il ajouté : « Que votre volonté s’accomplisse et non pas la mienne, ô mon Père. Les yeux de tous espèrent en vous, et vous leur donnez la nourriture en temps opportun ».
20. « Vous ouvrez la main et vous comblez de vos bontés tout ce qui respire[1] ». Si quelquefois vous ne donnez point, vous donnez toutefois en temps opportun ; vous différez sans refuser, et cela en temps opportun.
21. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies[2] ». Qu’il nous frappe ou qu’il nous guérisse, il n’en est pas moins juste ; il n’y a point d’injustice en lui. Aussi tous les saints, dans l’affliction, ont chanté sa justice et sollicité ses bienfaits. Ils ont dit tout d’abord : Ce que vous faites est juste, Seigneur. Ainsi pria Daniel, ainsi tous les autres saints : Vos jugements sont justes, il est bien pour nous, il est juste de souffrir[3]. Ils n’ont point cru que Dieu eût manqué de justice, ou d’équité, ou de sagesse. Ils l’ont béni quand il les frappait, béni encore quand il les nourrissait. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies ». Que nul ne regarde ses douleurs comme une injustice de la part de Dieu, qu’il chante la justice de Dieu et n’accuse que sa propre injustice. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies, il est saint dans toutes ses œuvres ».
22. « Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent[4] ». Mais que devient cette parole : « Voilà qu’ils m’invoqueront, et je ne les exaucerai point[5] ? » Vois d’abord ce qui suit : « De tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Car beaucoup l’invoquent, mais non point dans la vérité ; ils désirent quelque chose de lui, mais sans le chercher lui-même. Pourquoi aimer Dieu ? Parce qu’il m’a donné la santé. J’en conviens, c’est lui qui te l’a donnée. Nul autre que lui ne saurait donner la santé. Je l’aime, dit celui-ci, parce qu’il m’a donné une femme riche, à moi qui étais dans l’indigence, une femme soumise. Tu as raison, c’est Dieu qui te l’a donnée. Il m’a donné, dit celui-là, des enfants nombreux et sages, une grande famille, de grands biens. Est-ce pour cela que tu l’aimes ? Pour cela que tu n’attends plus rien de lui ? Sois encore affamé, frappe encore à la porte du Père de famille, il a d’autres biens à te donner. Avec tout ce que tu as reçu, tu es pauvre encore et tu ne le sais pas. Tu es encore vêtu d’une chair misérable et mortelle, tu n’as pas reçu ce vêtement de gloire et d’immortalité, et tu es déjà las de prier ? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[6] ». Donc, si Dieu est bon pour t’avoir donné ces biens, quel ne sera point ton bonheur, quand il se sera lui-même donné ? Tu as tant désiré de lui ; je t’en prie, désire qu’il te fasse don de lui-même. Il n’y a pas dans ces biens plus de délices que dans lui-même, et l’on ne saurait aucunement les lui comparer. Donc celui qui préfère Dieu lui-même, dont il a reçu tous ces biens, à ces mêmes biens qui font sa joie, invoque Dieu en vérité. Pour vous faire mieux comprendre mes paroles, faisons à ces hommes cette proposition : S’il plaisait à Dieu de vous ôter tous ces biens qui font votre joie, qu’arriverait-il ? Qu’on l’aimerait moins, et que nul ne dirait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[7] ». Mais que dit cet homme à qui Dieu a enlevé ses biens ? O Dieu ! que vous ai-je fait ? Pourquoi m’ôter mes biens pour les donner à d’autres ? Vous les donnez à des méchants, et les enlevez à vos serviteurs, C’est accuser Dieu d’injustice et faire valoir votre justice. Au contraire, accuse-toi, et bénis Dieu. Tu auras le cœur droit quand tu béniras Dieu des biens qu’il t’aura faits, sans l’aimer moins dans les maux qu’il faut supporter. C’est là invoquer Dieu en vérité. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent de la sorte : « Il est proche », c’est-à-dire qu’il est là, bien qu’il ne t’ait pas donné encore ce que tu désires. Un médecin met quelquefois sur les yeux ou sur les entrailles, tel emplâtre qui ne guérit qu’en brûlant. Que le malade le supplie de l’enlever, le médecin attendra le moment, loin de se plier à la volonté du malade ; et toutefois il ne l’abandonne point. Il est près de lui sans lui complaire, et lui complaît d’autant moins qu’il est plus près de le guérir. C’est pour le guérir qu’il a mis l’emplâtre, pour le guérir encore qu’il ne fait point ce que voudrait ce malade. Dieu ne t’exauce point dans ton désir actuel, afin de te

  1. Ps. 144,16
  2. Id. 17
  3. Dan. 3,27-31 ; 9,5-19
  4. Ps. 144,18
  5. Prov. 1,28
  6. Mt. 5,6
  7. Job. 1,21