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avec tant d’enfants, et des troupeaux si nombreux[1] ? Que dirai-je encore ? N’est-ce donc point là le bonheur ? Soit ; mais le bonheur de la gauche. Qu’est-ce que la gauche ? Ce qui est du temps, périssable, corporel. Sans vous dire de le fuir, gardez-vous de le regarder comme de la droite. Car les hommes du Psalmiste n’étaient point vains et méchants, parce qu’ils les possédaient, mais parce qu’ils prenaient pour biens de la droite, ce qui ne devait être que de la gauche. Que devaient-ils mettre à droite ? Dieu, l’éternité, les années de Dieu qui ne finiront point et dont il est dit : « Et vos années ne passeront point[2] ». Telle est la droite où doivent tendre nos désirs. Servons-nous de la gauche pour un temps, mais soupirons après la droite pour l’éternité. Si les richesses coulent chez vous en abondance, n’y attachez point votre cœur[3]. Car si vous attachez vos cœurs aux richesses qui coulent, de – votre gauche vous ferez votre droite. Corrigez-vous, admirez ces chastes baisers que vous donne la Sagesse « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite[4] ». Voyez ces admirables chants d’amour, ces Cantiques des cantiques, ce chant des saintes épousailles du Christ et de l’Église. Que dit l’Épouse à propos de l’Époux ? « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite ». La gauche est sous la tête, la droite sur la tête. C’est ce que l’on fait quand on embrasse, on met la droite sur la tête, et la gauche au-dessous. « Sa gauche » ; dit l’Épouse, « est sous ma tête ». Car il ne m’abandonnera point en ce qui est nécessaire à la vie ; et toutefois cette main gauche sera sous ma tête ; non point sur ma tête, mais au-dessous, afin qu’il m’embrasse de cette même droite qui promet la vie éternelle. Car sa gauchie ne sera sous ma tête que quand il m’embrassera de sa droite ; et ainsi s’accomplira ce que saint Paul écrit à Timothée : « Il a les promesses de la vie présente et de la vie future[5] ». Qu’avons-nous dans cette vie ? La gauche sous notre tête. Qu’avons-nous pour l’avenir ? Sa droite m’embrasse. Cherchez-vous ce qui est nécessaire en cette vie ? « Cherchez d’abord le royaume de Dieu », c’est-à-dire sa droite, et tout cela vous sera donné par surcroît[6] ». Vous aurez ici-bas les richesses et la gloire, et dans le siècle à venir la vie éternelle ; ma gauche soutiendra votre faiblesse, et ma droite couronnera vos vertus. Mais les Apôtres, qui avaient tout quitté et distribué leurs biens aux pauvres, ont-ils vécu ici-bas sans aucune richesse ? Que serait alors devenue cette promesse relative à la gauche : « Il recevra sept fois autant dans ce monde ? »[7] Le Sauveur nous promet la multiplication des biens. Et, en effet, qu’est-ce qui manque au serviteur de Dieu ? Un infidèle a une maison, quelques maisons peut-être ; « mais le fidèle a pour richesses le monde entier[8][9] ». Vois comme elle est sous la tête, cette gauche pleine de tous ces biens : « Il recevra en ce monde sept fois autant ». Vois la droite qui nous embrasse : « Et dans le siècle à venir la vie éternelle ». C’est bien avec raison que la Sagesse a dit ailleurs : « Les années de la vie sont dans sa droite, et dans sa gauche les richesses et les honneurs[10] ».
19. Comment donc ces hommes disent-ils des choses vaines ? comment leur bouche a-t-elle dit la vanité ? Parce que « leur droite est celle de l’iniquité ». Je ne leur fais pas un crime d’avoir des enfants qui sont dans leur jeunesse comme des jeunes plants, ni des filles ornées comme des temples, ni des biens en abondance et une félicité terrestre. Où est donc leur crime ? « D’avoir appelé heureux le peuple qui a de tels biens[11] ». O futiles discoureurs ! Appeler bienheureux un peuple qui a de tels biens ! Ils ont perdu la véritable droite, et se sont vêtus au rebours des dons de Dieu. Hommes pervers, hommes futiles, fils de l’étranger, ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. « Ils ont mis à droite ce qui était à gauche, et ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Mais vous, ô David ? Mais vous, ô corps du Christ ? Mais vous, ô membres du Christ ? Mais vous, fils de Dieu, et non fils de l’étranger, que dites-vous ? Les hommes vains dans leurs paroles, les fils de l’étranger ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. Mais vous, que dites-vous ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[12] ». Ayez donc la gauche, si vous le voulez, mais dans votre main gauche ; ambitionnez la droite, afin d’être placés à la droite. C’est ainsi qu’ils ont placé à gauche la gauche elle-même, auprès de qui le Christ a eu faim,

  1. Gen. 31,18 ; 32,7-10
  2. Ps. 101,28
  3. Id. 61,11
  4. Cant. 2,6
  5. 1 Tim. 4,8
  6. Mt. 6,33
  7. Mt. 19,29
  8. Prov. 17,6
  9. selon les LXX
  10. Id. 3,16
  11. Ps. 143,15
  12. Id.