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embarras, dans mes fatigues, dans mes combats, dans toutes ces difficultés, j’ai mis en lui mon espoir. « C’est lui qui m’assujettit mon peuple ». Ce langage est de notre chef.
10. « Seigneur qu’est-ce que l’homme, pour vous faire connaître à lui[1] ? » Il est tout ce qu’il est, précisément parce que vous « vous êtes fait connaître à lui ». « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme, pour que vous songiez à lui ? » Vous songez à lui, vous l’aimez, vous lui assignez son prix, vous le mettez en son rang, vous savez au-dessous de qui vous le placez, au-dessus de qui vous l’élevez. Car estimer c’est assigner un prix. Quel prix a donc assigné à l’homme Celui qui a donné pour l’homme le sang de son Fils unique ? « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui ? » À qui vous faire connaître, et qui êtes-vous ? « Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour l’estimer à ce prix ? » Vous l’estimez, vous en faites cas, comme s’il était d’un grand prix. Car aux yeux de Dieu l’homme n’est point tel qu’aux yeux d’un autre homme ; qu’il trouve un esclave à acheter, et il mettra plus de prix à un cheval qu’à un homme. Vois, au contraire, combien un Dieu t’a estimé, dès lors que tu peux dire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » À quel prix t’a évalué « Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous ? Comment ne nous a-t-il pas tout donné avec lui[2] ? » S’il nourrit ainsi les combattants, quel sera le prix du vainqueur ? Je suis », dit-il, « le pain vivant descendu du ciel[3] ». C’est là le pain qu’il donne aux combattants, pain qu’il fait venir des greniers célestes, et dont il nourrit les anges ; « car l’homme a mangé le pain des anges[4] ». Mais après les combats et après ce pain que donnera-t-il ? Quel prix réserve-t-il aux vainqueurs, sinon ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai fait une demande au Seigneur, et je la ferai encore : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, afin de contempler ses délices et d’être à l’abri dans son temple[5] ? Qu’est-ce que l’homme pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme pour l’estimer à ce point ? »
11. « L’homme est semblable au néant[6] », et néanmoins vous vous révélez à lui, vous l’appréciez. « L’homme est devenu semblable au néant ». À quel néant ? Au temps qui passe et qui s’écoule. Voilà ce que l’on appelle vanité dès qu’on le compare à la vérité, qui demeure toujours, qui est toujours stable. Toute créature visible n’est bonne qu’en son lieu. « Car c’est Dieu », dit l’Écriture, « qui a rempli la terre de ses biens[7] ». Qu’est-ce à dire de ses biens ? De ceux qui lui conviennent. Mais tous ces biens terrestres, volages, passagers, comparés à cette vérité dont il est dit : « Je suis celui qui suis[8] », tout ce bien qui passe est appelé vanité. Car il s’évanouit avec le temps, comme la fumée dans les airs. Que dirai-je de plus fort que l’Apôtre saint Jacques, lorsqu’il veut contraindre les superbes à s’humilier ? « Qu’est-ce que notre vie », dit-il ? « Une vapeur qui apparaît un instant pour se dissiper ensuite[9] ». Donc l’homme est semblable au néant. Le péché l’a rendu semblable au néant, car au moment de sa création il était semblable à la vérité ; mais le péché qu’il a commis, le châtiment qui lui a été infligé, l’ont rendu semblable au néant. « Vous avez châtié l’homme à cause de son iniquité », dit un autre psaume, « et vous avez fait sécher son âme comme l’araignée[10] ». De là aussi : « L’homme est devenu semblable à la vanité ». Qu’ajoute le Prophète dans l’autre psaume ? « Vous avez fait vieillir mes jours[11] ». Et ici : « Ses jours passent comme l’ombre ». Que l’homme donc veille sur lui-même dans ces jours qui passent comme l’ombre, afin qu’en soupirant après sa lumière, il fasse des œuvres qui en soient dignes ; et s’il est dans l’ombre de la nuit, qu’il cherche le jour. Pour l’homme qui comprend son état, les jours de cette vanité sont des jours de tribulation. Soit que les misères et les chagrins nous viennent accabler, soit que les prospérités du monde nous sourient, nous n’en devons pas moins craindre et gémir : « Parce que la vie de l’homme sur la terre est une tentation[12] ». De là cette parole : « Tout le jour je marchais dans l’affliction[13] ». Nous avons besoin de consolations, et tout ce que Dieu nous montre en fait de prospérités n’est point pour réjouir les heureux du monde, suais bien pour soulager les malheureux. Que l’homme donc, je le répète, dans ces jours qui sont une ombre,

  1. Ps. 143,3
  2. Rom. 8,31-32
  3. Jn. 6,41
  4. Ps. 77,25
  5. Ps. 26,4
  6. Ps. 143,4
  7. Sir. 16,30
  8. Exod. 3,14
  9. Jac. 4,15
  10. Ps. 38,12
  11. Id. 6
  12. Job. 7,1
  13. Ps. 37,7