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te propose donc, comme à son athlète, la fraude et le gain, l’œuvre et la récompense : Agis et reçois le prix. Mais si tu es parvenu à fouler aux pieds l’avarice, tu n’es pas intérieurement dominé par cet ennemi que tu sens et peux vaincre ; car tu ne sens point le diable qui te tend cette embûche. Si donc tu as dompté l’avarice, tu feras attention à celui qui te propose l’œuvre et le prix. Qu’est-ce qu’il te propose ? L’injustice et le gain. Qu’est-ce que Dieu propose au contraire ? L’innocence et la couronne. Agis et prends, te dit l’un aussi bien que l’autre. Toi donc, athlète intérieur, si, loin d’être vaincu par l’avarice, tu en es vainqueur, tu tiens tes regards fixés en Dieu et tu surmontes le démon. Tu fais le discernement de l’un et de l’autre, et tu dis : Je vois ici l’œuvre et le prix, mais là au contraire l’appât et l’hameçon. Car tu ne dis rien intérieurement, qui ne regarde ton salut. Par le péché tu es divisé contre toi-même. Tu traînes après toi une source de concupiscence qui va te conduire à la mort ; tu as devant toi un ennemi à combattre, et en toi un ennemi à vaincre ; mais tu peux recourir à celui qui t’aidera dans le combat, qui te couronnera après la victoire, et qui t’a fait quand tu n’étais pas encore.

6. Comment pourrai-je vaincre, diras-tu ? Voilà que l’Apôtre me propose un combat très difficile, et lui-même prend soin de me montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je n’en comprends l’importance. « La chair », dit-il, « conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez[1] ». Comment me commander de vaincre, quand lui-même nous dit : « En sorte que vous ne faites point ce que vous voulez ? » Veux-tu savoir comment ? Jette les yeux sur la grâce de ce vase pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit : Tu ne fais point ce que tu veux, parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole : « Réjouissez-vous en Dieu notre soutien[2] ». Si tu pouvais tout par toi-même, tu n’aurais pas besoin de soutien ; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté, il ne te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on agit. Aussi, après avoir dit : « La chair conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un coup à celui qui peut t’aider : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes as plus sous la loi ». Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi, se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir ce que tu veux ; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les œuvres de la chair sont faciles à reconnaître ; ce sont la fornication, l’impureté, la luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables ; car je déclare, et je l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu[3] ». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent. Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples : Écoutez. On te propose un gain à faire, et cela te plaît ; il faut user de fraude, mais le gain est considérable ; cela te plaît, et toutefois tu résistes : c’est là le combat ; mais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la justice, tel a commis la fraude : le voilà vaincu ; mais il rejette le gain pour demeurer juste, le voilà vainqueur. Dans ces trois états je plains le vaincu, je crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui-là même qui a vaincu a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique, loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre ? Il a ressenti néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous : il y a dans cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé dans une pleine victoire, mais à l’avenir ;

  1. Gal. 5,17
  2. Psa. 80,2
  3. Gal. 5,17-19