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court, voyons si nous pourrons aussi l’exposer brièvement.
2. « De ma voix, j’ai crié vers le Seigneur ». Il me suffirait de dire : « J’ai crié de la voix vers le Seigneur », et néanmoins il n’est peut-être pas inutile d’ajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à l’homme intérieur en qui le Christ a commencé d’habiter par la foi[1], il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l’élan du cœur. Car l’oreille de Dieu diffère bien de l’oreille de l’homme, qui n’entend qu’à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son ; tandis que pour Dieu notre cri c’est notre pensée. « De ma voix j’ai crié vers Dieu, de ma voix j’ai invoqué le Seigneur[2] ». Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : j’ai invoqué. Blasphémer, c’est, en effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il pousse un cri, et dans la seconde partie il donne l’explication de son cri, comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur : « J’ai poussé vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un outrage, ni un murmure, ni un blasphème.
3. « Je répandrai ma prière devant lui[3] ». Qu’est-ce à dire « devant lui ? » En sa présence. Qu’est-ce à dire, en sa présence ? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point ? Dire en effet où Dieu voit, laisserait entendre qu’il est des lieux où ut ne voit point. Mais en fait d’objets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ l’ordonne de prier dans le secret ; mais si tu comprends l’endroit secret pour toi, si tu te purifies, c’est là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur, « n’imitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra[4] ». Si tu attends des hommes ta récompense, prie devant les hommes ; si Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il est en notre pouvoir de clore la porte, j’entends la porte de notre cœur, et non celle de nos maisons ; car c’est dans le cœur aussi qu’est la chambre secrète ; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte : « Ne donnez aucune entrée au diable[5] », nous dit l’Apôtre. S’il vient à pénétrer dans ton cœur, à s’en rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment, ou négligé complètement de la fermer.
4. Mais qu’est-ce à dire, fermer la porte ? Cette porte a comme deux battants : celui de la convoitise, et celui de la crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là ; ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants ? En désirant le royaume des cieux, en craignant le feu de l’enfer. L’amour du monde ouvre l’entrée au diable, et l’amour de la vie éternelle l’ouvre au Christ ; la crainte des maux temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en l’ouvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons s’ils l’ont ouverte au Christ : « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans le ciel[6] ». Comment les confessera-t-il ? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[7] ». Il les confessera en les plaçant à sa droite. Voyons s’ils ont ouvert au Christ la porte de la crainte, qu’ils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point », dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ». Il nous avertit par là de fermer au démon la porte de la crainte. N’avons-nous donc rien à craindre ?

  1. Eph. 3,17
  2. Ps. 141,2
  3. Id. 3
  4. Mt. 6,5-6
  5. Eph. 4,27
  6. Mt. 10,32
  7. Id. 25,34