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le Christ, non quand il est venu à toi, mais quand il t’a créé. Un malade aussi pourrait dire : Je suis tombé malade avant l’arrivée du médecin. Il n’est venu qu’après, sans doute ; mais il est venu parce que tu étais venu auparavant.
20. Voyez donc la suite du psaume : « Encore un peu, et ma prière fera partie de leurs délices ». Mais il y aura beaucoup de contradicteurs. « Leurs juges sont engloutis auprès de la pierre ». Ma parole a prévalu sur leurs paroles. Ils ont dit quelque chose de savant, moi j’ai dit la vérité. Autre est de louer l’éloquence, autre de louer la vérité. « Ils entendront mes paroles, parce qu’elles ont prévalu ». Pourquoi ont-elles prévalu ? Quel est celui de ces hommes que l’on a surpris dans un sacrifice, aujourd’hui prohibé par les lois, qui ne l’ait nié aussitôt ? Où est celui que l’on a surpris devant une idole, et qui n’a crié aussitôt : Je ne l’ai point fait, qui n’a craint d’être convaincu ? Tels étaient les ministres du diable. Mais comment les paroles de Dieu ont-elles pu prévaloir ? « Voilà », dit-il, « que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez celui qui peut jeter au feu de l’enfer, et l’âme et le corps[1] ». Il nous effraie, nous donne l’espérance, enflamme notre charité. Ne craignez point la mort, nous dit-il. La craignez-vous ? Je meurs le premier. Craignez-vous qu’un cheveu tombe de votre tête ? Je ressuscite le premier, et tout entier. C’est donc avec raison que vous avez entendu les paroles de votre maître qui ont prévalu, lis parlaient et on les faisait mourir ; ils tombaient et néanmoins se tenaient debout. Et qu’est-il arrivé du meurtre de tant de martyrs, sinon que la victoire a été donnée aux paroles du Maître, et que de cette terre comme arrosée du sang des témoins du Christ, a germé partout la moisson de l’Église ? « Ils entendront mes paroles », dit l’interlocuteur, « parce qu’elles ont prévalu ». D’où vient qu’elles ont prévalu ? Nous l’avons dit déjà : parce qu’elles étaient prêchées par des hommes sans peur. De quoi n’avaient-ils aucune peur ? Ni de l’exil, ni de la perte des biens, ni de la mort, ni de la croix. Non seulement ils ne craignaient pas la mort, mais ils ne craignaient pas même la croix qui est la plus terrible mort. Le Seigneur s’y soumit, afin que ses disciples non seulement ne redoutassent point la mort ; mais afin que nul genre de mort ne pût les intimider. Ces paroles ont donc prévalu, parce qu’elles ont été prêchées par des hommes sans peur.
21. Mais ces trépas de, tant de martyrs, qu’ont-ils produit ? Écoute : « Comme la graisse de la terre est répandue sur les guérets, ainsi nos ossements sont dispersés près du sépulcre[2] ». Les ossements des martyrs ou des témoins du Christ sont dispersés sur le bord du sépulcre. On a tué les martyrs, et ces hommes ont en quelque sorte Prévalu jusque dans la mort. Les persécuteurs n’ont prévalu que pour donner la victoire ans paroles du Christ par la prédication. Et qu’est-il arrivé de cette mort des saints ? « Comme la graisse de la terre est étendue sur les guérets, nos ossements sont dispersés sur le bord du sépulcre ». Qu’est-ce que « la graisse de la terre répandue sur la terre ? » Nous savons que cette graisse de la terre est quelque chose de fort méprisable ; car ce qui est vil aux yeux des hommes donne à la terre sa fécondité. Il est dit dans un autre psaume que les corps des saints demeuraient étendus sur la terre, sans qu’il y eût personne pour les ensevelir. Mais tous ces corps des saints sont la graisse de la terre. De même, en effet que les guérets s’engraissent de ce qui est vil et abject, ainsi la terre a été engraissée de ce que le monde a méprisé, en sorte qu’il en est résulté pour l’Église une moisson plus abondante. Vous le savez, mes frères, ce qui engraisse les guérets, c’est ce que l’on regarde comme vil, que je ne veux pas, et qu’il ne faut pas nommer ; voilà ce qui féconde la terre, ce qui en est l’engrais ; les hommes la méprisent, le rejettent comme une ordure. Mais qu’a fait Dieu, pour me servir des paroles d’un autre psaume ? « Il a relevé le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer parmi les princes, parmi les princes de son peuple[3] ». On l’a donc étendu sur la terre, comme un fumier, jeté çà et là : ainsi était couché Lazare couvert d’ulcères, et pourtant il fut porté par les anges au sein d’Abraham[4]. « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur[5] » ; comme le fumier que le monde méprise est précieux aux yeux du laboureur qui en connaît l’utilité, la

  1. Mt. 10,16-28
  2. Ps. 140,7
  3. Id. 112,7-8
  4. Lc. 16,20-22
  5. Ps. 115,15