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en lui-même et non dans un autre[1] ». Qui signifie dans ses vases ? Écoute le même Apôtre : « Notre gloire, en effet, c’est le témoignage de notre conscience[2] ».
14. Enfin, parce que tu es dans le corps du Christ, assujetti encore à une certaine mortalité, sois juste à tes propres yeux, sois juste coutre toi. Tu es pécheur ; venge le Seigneur contre toi, reviens à ta conscience, inflige-toi des peines, sois ton propre bourreau. De cette manière tu offres à Dieu un sacrifice. « Si le sacrifice avait pu vous plaire », dit un pécheur, « je vous l’aurais offert, mais vous ne prendrez nul plaisir à l’holocauste[3] ». Quoi donc ? Dieu n’agrée-t-il aucun sacrifice ? « Le sacrifice agréable à Dieu est l’âme brisée de douleur ; Dieu ne rejette pas un cœur contrit et humilié[4] ». Humilie donc ton cœur, brise ton cœur, sois le bourreau de ton cœur, et tu te réprimeras ainsi dans la miséricorde. Sévir contre toi, ce n’est point te haïr. Tu seras alors juste dans la partie corrigée, et pécheur dans ra partie à corriger. Tu es injuste puisque tu te déplais à toi-même, et tu es juste, à cause du déplaisir que tu éprouves de ce qui est injuste en toi. Veux-tu voir combien tu es juste ? Tu condamnes en toi ce que Dieu condamne ; tu es uni de volonté avec Dieu, et tu hais en toi, non point ce qu’il a fait, mais ce qu’il hait. Mais dès que tu hais en toi ce que tu as fait, ce que Dieu hait, et qu’il n’a point fait, tu as pour toi de la sévérité, et Dieu de la miséricorde : il t’épargnera, parce que tu ne t’es pas épargné. Depuis que tu te vois du même œil que Dieu, que tu prends plaisir dans sa loi, que tu condamnes en toi ce que la loi condamne, que tu ne vois en toi qu’avec déplaisir ce qui déplaît aux yeux de Dieu, vois combien tu es juste en cela : toutefois, depuis que tu es tombé, tu as fait ce qui déplaît à Dieu, la fragilité de tes humaines faiblesses te porte à le faire encore, tu es encore sous le poids de l’infirmité de la chair, tu gémis en ton âme d’y ressentir une révolte, et sous ce rapport tu es inique et pécheur.
15. Comment se peut-il, diras-tu, que je sois en partie juste, et en partie pécheur ? Que dis-tu là ? Nous serions embarrassés, nous croirions être en contradiction, si l’autorité de saint Paul ne nous soutenait. Écoute ce mot de l’Apôtre, afin de ne plus m’accuser en me comprenant mal : « Je me plais », dit-il, « dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur[5] ». Voilà un juste. Car n’est-ce pas être juste que se plaire dans la loi de Dieu ? Mais dès lors, de quelle manière sera-t-il pécheur ?[6] « Je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de l’esprit, et qui m’enchaîne sous la loi du péché »[7]. Je dois encore me combattre moi-même, et je ne suis pas dans une entière conformité avec l’image de mon Créateur ; je commence à me rétablir, et ces traits que j’ai réformés rue font haïr ce qu’il y a de difforme en moi-même. Et tant que je suis ainsi, que puis-je espérer ? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur »[8]. La grâce de Dieu, qui a commencé à retailler en toi quelques traits, la grâce de Dieu répand sa douceur, afin que chez toi l’homme intérieur se plaise dans la loi de Dieu ; ce qui a déjà commencé de te guérir achèvera sa tâche. Gémis, pendant que tu sens tes plaies, corrige-toi et sois odieux pour toi-même.
16. « Je ne combats pas », dit saint Paul, « comme si je frappais en l’air ; mais je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même[9] ». Châtier son corps, est-ce le haïr ? Châtier un serviteur, est-ce haïr ce serviteur ? Donner la discipline à un fils, est-ce le haïr ? Et, pour aller plus loin encore : ta chair est pour toi comme une Épouse. Saint Paul dit en effet : « Nul n’a jamais haï sa propre chair ; il la nourrit au contraire, et en prend soin, comme le Christ a soin de son Église[10] ». La chair est donc pour nous comme une Épouse, et nul n’a de haine contre sa propre chair. Toutefois, qu’est-il dit ailleurs ? « La chair à des convoitises contraires à l’esprit, et l’esprit des convoitises contraires à la chair ». Ta chair s’élève donc contre toi, comme ferait une Épouse ; aime-la et corrige-la, jusqu’à ce que la paix se rétablisse entre l’âme et le corps également réformés. Quand ce bonheur arrivera-t-il ? Pourquoi t’écrier maintenant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort[11] ? » Ton corps sera-t-il donc séparé de toi, afin que tu sois en sécurité ?

  1. Gal. 6,4
  2. 2 Cor. 1,12
  3. Ps. 50,18
  4. Id. 19
  5. Rom. 7,22
  6. Id. 25
  7. 1 Cor. 9,26-27
  8. Rom. 7
  9. Eph. 5,29
  10. Gal. 5,11
  11. Rom. 7,24