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donné de baiser ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a cessé de baiser mes pieds ; vous n’avez point donné de parfum à ma tête, elle m’a oint de parfums. C’est pourquoi je vous le déclare beaucoup de péchés lui ont été remis, parce qu’elle a beaucoup aimé[1] ». Pourquoi ? Parce qu’elle a confessé ses fautes, qu’elle a pleuré, que son cœur ne s’est point incliné vers les paroles de malice pour chercher des excuses à ses péchés, qu’elle n’a point eu de part avec leurs élus, c’est-à-dire avec ceux qui défendent leurs désordres.
9. Cette femme en effet ne manquerait point d’excuses, si son cœur se tournait vers les paroles de la malice. Chaque jour, celles qui lui ressemblent par l’infamie, des femmes débauchées, des femmes adultères, criminelles, ne viennent-elles pas excuser leurs péchés ? Qu’elles ne soient point découvertes, elles nient ; qu’elles soient surprises et convaincues, que leur faute soit publique, elles ont des excuses. Avec quelle facilité elles se défendent ! combien leur excuse est prompte, sacrilège, et néanmoins ordinaire ! Si Dieu ne l’avait point voulu, je n’aurais pu le faire ! Telle est la volonté de Dieu, la volonté de la fortune, la volonté du destin. Qu’elle est loin de dire : « Seigneur, je l’ai dit : Ayez pitié de moi » ; de dire avec cette pécheresse qui vient aux pieds du médecin : « Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous[2] », Et quels sont, mes frères, ceux qui allèguent une pareille défense ? Ce ne sont pas des ignorants, mais des savants. Ils s’asseyent, ils supputent les astres, leurs distances, leur cours, leur révolution, leur arrêt, leurs mouvements ; ils observent, ils décrivent, ils font des conjectures. On les dirait savants, grands personnages. Tous ces raisonnements savants et spécieux, c’est la défense du péché. Tu seras un adultère, parce que Vénus est pour toi ; homicide parce que Mars préside à ta naissance. C’est donc Mars qui est homicide, et non pas toi ; Vénus qui est adultère, et non pas toi ; prends garde néanmoins d’être condamné au lieu de Vénus et de Mars. Car c’est Dieu qui te condamnera, et il sait parfaitement que c’est toi qui commets ces crimes, et qui oses dire au juge qui t’a vu ce n’est pas moi. Quant à cet astrologue, à ce vendeur de fables qui sont autant de pièges, car il te fait acheter ta propre mort, car tu achètes à l’astrologue la mort à prix d’argent, toi qui refuses la vie gratuite offerte parle Christ ; que cet astrologue voie sa femme, quelque peu libre dans ses allures, échanger le coup d’œil avec des étrangers, s’asseoir souvent aux fenêtres ; n’ira-t-il pas l’en arracher, la frapper, lui donner une sévère leçon ? Que cette femme lui réponde : Frappe Vénus, si tu le peux, mais pas moi ; ne lui dira-t-il pas : Insensée ! Autre est ce qui convient à un directeur, et autre ce que l’on donne à un acheteur. Quels sont donc leurs élus ? Ce sont les élus des méchants, les élus des impies, avec lesquels nous ne devons avoir aucune part, c’est-à-dire, avec lesquels on ne doit former aucune société. Quels sont-ils encore ? Des hommes qui se croient justes, qui méprisent les autres comme pécheurs, ainsi que faisaient les Pharisiens[3] ; ou qui atténuent, qui excusent leurs fautes, quand elles ont une certaine évidence, une certaine publicité, de peur qu’on en rejette le blâme sur eux ; et qui, pour se disculper de toute action criminelle, osent tout rejeter sur Dieu qui a ainsi créé l’homme, ou ainsi disposé les étoiles, ou qui est peu soucieux de nos actions. Telles sont les offenses des élus du siècle. Mais qu’un membre du Christ, que le corps du Christ que le Christ lui-même dise au nom de son corps : « Ne détournez point mon cœur vers les paroles de malice, pour chercher des excuses ou pécher avec les hommes qui commettent l’iniquité, et je n’aurai point de part avec leurs élus ».
10. Vous le savez, mes frères, et il ne faut point le passer sous silence, on donne le nom d’élus, chez les Manichéens, à ceux qui paraissent avoir une justice plus éminente, être au premier degré de la vertu. Que ceux qui le savent s’en souviennent, ceux qui l’ignoraient l’apprendront. Les élus de Dieu, ce sont les saints, l’Écriture nous l’enseigne[4]. Mais eux ont usurpé cette qualification pour se l’approprier d’une manière particulière, et on ne les reconnaît qu’au nom d’élus. Quels sont donc ces élus ? Des hommes tels que si tu leur dis : Tu as péché, ils ont recours à ces excuses impies, pires que toutes les autres, et plus sacrilèges. Ce n’est pas moi qui ai péché, mais la gent ténébreuse. Or, quelle est cette gent ténébreuse ? Celle qui a fait la guerre à

  1. Lc. 7,36-47
  2. Ps. 11,5
  3. Lc. 18,9
  4. Mt. 24,22-24.31