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quand cette chair si faible était clouée à la croix où notre vieil homme a été crucifié avec lui[1], dit saint Paul, ce fut dans notre humanité qu’il s’écria : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[2] ? » Ce sacrifice du soir est donc la passion du Christ, la croix du Seigneur, la victime salutaire, l’holocauste agréable à Dieu. Ce sacrifice du soir devint à la résurrection la grâce du matin. La prière qui s’élève d’un cœur fidèle est donc le parfum qui s’élève des saints autels. Rien n’est devant Dieu plus agréable que cette odeur : qu’elle soit l’odeur de tous les fidèles.
6. « Notre vieil homme », dit l’Apôtre, « a été crucifié avec le Christ, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché[3] ». De là vient qu’après cette parole du psaume : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné, loin de mon salut », il est dit aussitôt : « Les paroles de mes péchés ». De quels péchés, si l’on considère le chef ? Et toutefois lui-même nous montre que la parole du psaume lui appartient, puisqu’il prononça ces mêmes paroles, ce même verset. Il n’y a plus ici de conjectures humaines, et nul chrétien ne saurait recourir à la négation. Ce que je lis dans le psaume, je l’entends dans la bouche du Seigneur. Dans ce même psaume encore je retrouve ce que je lis dans l’Évangile : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement, ils ont divisé mes vêtements et tiré ma robe au sort[4] ». Tout cela était prédit, tout est accompli. « Nous avons vu ces choses comme nous les avions entendues[5] ». Si donc Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous figurait dans l’union de son corps, et qui était sans péché, a dit : « Ce sont les paroles de mes péchés », ce qu’il a dit au nom de son corps ; qui d’entre ses membres osera dire qu’il est sans péché, à moins d’avoir l’effronterie de se targuer d’une fausse justice, et d’accuser le Christ de fausseté ? Confesse donc, ô membre du Christ, ce que la tête a prononcé en ton nom. Pour nous porter à faire cet aveu, et à ne point nous croire justes en présence de celui qui est le seul juste, et qui justifie l’impie[6], il fait aussi parler son corps dans notre psaume : « Mettez, « Seigneur, une garde sûre à ma bouche, une porte qui environne mes lèvres[7] ». Il ne dit pas une barrière, claustrum, mais une porte, ostium. On ouvre et on ferme une porte : si donc c’est une porte, il faut l’ouvrir, il faut la fermer ; l’ouvrir pour avouer ses fautes : qu’on la ferme quand il s’agit de les excuser. Ce sera ainsi une porte qui gardera, et non qui ruinera.
7. De quoi nous servira cette porte qui doit nous maintenir ? Quelle prière fait le Christ au nom de ses membres ? « N’inclinez point », dit-il, « mon cœur vers les paroles de la malice ». Qu’est-ce à dire, « mon cœur[8] ? » Le cœur de l’Église, le cœur de mon corps. Écoutez ces paroles qui sont devenues une règle pour nous. « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[9] ? » et pourtant nul ne le touchait alors. « J’ai eu faim, et vous m’avez nourri ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire », et le reste. Mais eux : « Quand vous avons-nous vu avoir faim ou soif ? » Et le Christ : « Quand vous l’avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait[10] ». Il n’y a rien ici d’extraordinaire pour aucun chrétien, surtout pour ceux qui ont des règles fixes pour comprendre le reste des Écritures ; ces expressions ne les surprendront point, ou du moins ils se corrigeront promptement. Comme donc les justes doivent dire : Seigneur, pourquoi dites-vous : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Quand vous avons-nous vu avoir faim ? » et que Jésus répondra : « Le faire au moindre de mes frères, c’était me le faire à moi-même » ; de même tenons ce langage au Christ dans le plus intime de notre homme intérieur, car c’est là qu’il daigne habiter par la foi[11]. Car il n’est absent d’aucun de nous, nous ne saurions l’en accuser, puisqu’il nous dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[12] ». Disons-lui donc aussi nous-mêmes que c’est sa parole que nous entendons dans ce Psaume : c’est lui en effet qui dit : « L’élévation de mes mains est le sacrifice du soir », nul ne saurait le contredire. Dis-lui donc ce qui vient ensuite : « Mettez une garde à ma bouche, une porte qui retienne mes lèvres ; et n’inclinez pas mon cœur vers des paroles de malice, pour chercher des excuses dans

  1. Rom. 6,6
  2. Ps. 21,2 ; Mat. 17,46
  3. Rom. 6,6
  4. Ps. 21,17-19
  5. Id. 47,9
  6. Rom. 4,5
  7. Ps. 111,3
  8. Id. 4
  9. Act. 9,4
  10. Mt. 25,35-40
  11. Eph. 3,17
  12. Mt. 28,20