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le temps pendant lequel Jésus-Christ demeure caché à la droite de son Père, avant qu’il se manifeste dans cette gloire dont il doit briller en venant juger les vivants et les morts.
26. Il va nous dire ensuite ce que le mélange des pécheurs, et le schisme de l’hérésie doit lui faire endurer dans son corps qui est l’Église, pendant cet intervalle de temps, qui s’écoule depuis sa résurrection, alors qu’il est à la droite de son Père. Voici ce qu’il dit en effet : « Si vous mettez à mort l’impie, ô mon Dieu, hommes de sang retirez-vous de moi ; car tu diras en toi-même : c’est en vain qu’ils prendront leurs villes[1] ». Il semble qu’on doive construire ainsi la phrase : « Si vous donnez la mort au pécheur, c’est en vain qu’ils prendront leurs villes ». Car le Prophète regarde comme frappés de mort les hommes à qui l’enflure de l’orgueil fait perdre ta grâce qui est la vie. « L’Esprit-Saint en effet évite le déguisement dans la discipline, et se dérobe aux esprits sans intelligence[2] ». La mort des pécheurs vient donc de ce que leur intelligence, obscurcie par les ténèbres, les éloigne de la vie de Dieu, L’orgueil étouffe en eux la confession de leurs fautes ; ils meurent, et voilà que se réalise en eux cette parole : « Pas plus dans un mort que dans un homme qui n’existe point, il n’y a de confession[3] ». C’est là prendre en vain leurs villes, c’est-à-dire leurs peuples vains, qui s’attachent à leurs vaines pratiques. Orgueilleux de leur renommée de justice, ils entraînent le peuple à rompre le lien de l’unité, et se font suivre comme plus justes par des aveugles et des ignorants. Or, comme ils prennent souvent occasion de se séparer de l’unité du Christ en blâmant les méchants, avec lesquels ils feignent de ne point vouloir de communion ; comme il peut se faire qu’ils ne flétrissent pas seulement les coupables dont ils semblent vouloir éviter la malice, mais qu’ils disent encore le mal véritable de ceux qui leur ressemblent, et parmi lesquels gémit le froment du Christ, tout en gardant le lien de l’unité[4], voilà que le Prophète s’interrompt pour s’écrier : « Loin de moi, hommes de sang ; car tu diras dans ta pensée : C’est en vain qu’ils s’empareront de leurs villes » ; c’est-à-dire, ce qui sera cause qu’ils séduiront leurs peuples pour les porter au schisme, et les corrompre par leurs propres vanités, « c’est que tu diras dans ta pensée : Hommes de sang, éloignez-vous de moi ». C’est-à-dire qu’en punition de leur orgueil, l’âme de ces pécheurs sera mise à mort, et dès lors c’est en vain qu’ils s’empareront de leurs cités, ou de leurs peuples, en les retranchant de l’Église, pour les entraîner dans la vanité de leurs erreurs ; et ainsi choqués par le mélange des pailles, ils brisent l’unité et se séparent du bon grain. Le Prophète avertit donc le bon grain, ou les véritables fidèles, de ne point se séparer ouvertement des méchants avant que l’aire soit vannée, de peur d’abandonner les bons qui sont encore parmi eux, mais de dire en quelque sorte tacitement, par une vie pure et une conduite bien différente : « Loin de moi, hommes de sang ». C’est en effet le langage que tient le bon grain par la voix de Dieu, voix qui est dans notre pensée, comme Dieu le tient dans la pensée de son peuple saint. Mais quels sont, mes frères, les hommes de sang, sinon les hommes de haine ? Selon cette parole de saint Jean : « Celui qui hait son frère est homicide[5] ». Ces pécheurs donc, mis à mort, ne pouvant comprendre comment, dans la pensée des bons, Dieu dit aux méchants : « Hommes de sang, éloignez-vous de moi », leur font un crime de leur communion avec les méchants, et en se séparant d’eux à cause de ces calomnies, « ils prennent en vain leurs cités ». Cette parole que les bons ne disent aux méchants que dans leur pensée, se fera entendre ouvertement dans ce dernier jour, quand notre chef élevant la voix : « Je ne vous ai jamais connus », leur dira-t-il, « éloignez-vous de moi, vous tous ouvriers d’iniquité[6] ».
27. Et maintenant, dit le corps du Christ, ou l’Église, pourquoi ces calomnies des superbes, comme si les péchés des autres pouvaient me souiller ? pourquoi se séparer de moi « afin de prendre en vain leurs cités ? N’ai-je point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient[7] ? » Pourquoi ces hommes plus méchants veulent-ils me forcer à une séparation corporelle des méchants, me faire arracher le bon grain avec l’ivraie, avant le temps de la moisson[8] ; me détourner de supporter la paille avant que l’aire soit vannée[9] ;

  1. Ps. 138,19-20
  2. Sag. 1,5
  3. Sir. 17,26
  4. Mt. 3,22
  5. Jn. 3,15
  6. Mt. 7,23
  7. Ps. 138,21
  8. Mt. 13,30
  9. Mt. 21,12