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parfaitement à notre solennité ; car c’est des Martyrs qu’il est dit ailleurs : « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences[1] ». C’est bien ici une vallée de larmes, où l’on sème en pleurant. Quelle est cette semence ? Les bonnes œuvres que l’on fait dans les tribulations de cette vie. Quiconque fait le bien dans la vallée des pleurs, ressemble à un homme qui sème pendant l’hiver. Le froid l’empêche-t-il de travailler ? Ainsi les persécutions du monde ne doivent point nous détourner des bonnes œuvres ; vois en effet ce qui suit : « Ils marchaient en pleurant », dit le Prophète, « et répandaient leurs semences ». Misérables, s’ils pleuraient toujours ; misérables, si nul ne devait essuyer leurs larmes. Mais nous lisons ensuite : « Quand ils viendront, au contraire, ils viendront dans la joie, en portant leurs gerbes[2] ».
3. Ces cantiques, mes frères, ne nous apprennent donc qu’à nous élever, mais à nous élever par le cœur, par de saints désirs, par la foi, l’espérance et la charité, par le désir de l’éternité et d’une vie sans fin. C’est ainsi qu’on s’élève. Il est de notre devoir d’expliquer coin ment nous devons monter. Quelles terribles menaces ne venez-vous pas d’entendre à la lecture de l’Évangile ! Vous y voyez que le jour du Seigneur viendra, comme le voleur, pendant la nuit. « Si le père de famille », est-il dit, « savait à quel moment viendra le voleur, je vous le déclare, il ne laisserait point pénétrer dans sa maison[3] ». Or, vous vous dites en vous-mêmes : Comment peut-on connaître ce moment, puisqu’il viendra comme un voleur ? Dans ton ignorance de l’heure, veille continuellement, afin que, nonobstant ton ignorance, ce moment te trouve prêt sans cesse. Et peut-être est-ce afin que tu sois toujours prêt que ce moment est inconnu. Cette heure surprendra le père de famille, qui est ici le type de l’orgueilleux. Ne sois donc point de ces pères de famille, et cette heure ne te surprendra point. Que faut-il être, me diras-tu ? Ce que tu viens d’entendre dans le psaume : « Pour moi, je suis pauvre et affligé »[4]. Si tu es pauvre et affligé, tu ne seras point ce père de famille que cette heure doit surprendre tout à coup, et tout à coup accabler. Ils sont pères de famille, ceux qui s’enorgueillissent en donnant un libre cours à leurs convoitises, en se plongeant dans les délices de cette vie ; qui s’élèvent contre les humbles, jettent le mépris sur les saints qui comprennent la voie étroite[5] conduisant à la véritable vie. Ces hommes seront surpris par la dernière heure, car tels étaient ceux qui vivaient aux jours de Noé, dont l’Évangile parlait tout à l’heure, comme vous l’avez entendu[6]. « Ils mangeaient, ils buvaient, les hommes mariaient leurs filles, épousaient des femmes, plantaient, bâtissaient, jusqu’à ce que Noé entrât dans l’arche, et le déluge vint et les perdit tous[7] ». Quoi donc ! Sont-ils condamnés à périr ceux qui en agissent ainsi, qui marient leurs filles, qui Épousent des femmes, qui plantent, qui bâtissent ? Non, mais ceux-là qui s’en glorifient, qui préfèrent à Dieu toutes ces occupations, qui, pour cela, sont toujours prêts à offenser Dieu. Quant à ceux qui n’en veulent point user, ou qui n’en usent que comme n’en usant pas, qui se confient en Celui qui a donné ces biens plus qu’en ces biens qui sont donnés, qui reconnaissent dans ces dons la miséricorde qui les console, qui ne se passionnent point pour ces dons, afin de ne point tomber d’auprès de Dieu, ces hommes ne seront point surpris quand le moment viendra comme le voleur. C’est à eux que l’Apôtre a dit : « Quant à vous, vous n’êtes point dans les ténèbres pour être surpris par ce jour comme par un voleur ; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour[8] ». Aussi le Seigneur, en nous disant de craindre cette heure, a-t-il dit qu’elle viendra la nuit, et l’Apôtre s’exprime ainsi : « Le jour du Seigneur viendra la nuit comme le voleur[9] ». Veux-tu n’être Point surpris ? Ne sois pas dans la nuit. Et qu’est-ce à dire, ne sois point dans la nuit ? « Vous êtes les enfants de la lumière, les enfants du jour ; nous ne sommes point enfants de la nuit, « ni des ténèbres ». Or, quels sont ces enfants des ténèbres et de la nuit ? Les injustes, les impies, les infidèles.
4. Mais à leur tour, avant que vienne la nuit, qu’ils écoutent et que l’Apôtre leur dise : « Vous étiez jadis ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[10] ». Qu’ils s’éveillent selon l’avis de notre psaume. Déjà les montagnes sont éclairées, pourquoi dormir encore ? « Qu’ils lèvent les yeux vers a les montagnes, d’où leur viendra le secours[11] ».

  1. Ps. 125,6
  2. Id.
  3. Mt. 24,43
  4. Ps. 68,30
  5. Mt. 7,14
  6. Id. 24,37-44
  7. Lc. 17,26-27
  8. 1 Thes. 5,4
  9. Id. 2
  10. Eph. 5,8
  11. Ps. 120,1