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« Où me dérober à votre Esprit ? L’Esprit du Seigneur a rempli l’univers entier[1] ». En quel lieu du monde échapper à cet esprit dont le monde est plein ? « Où me cacher à cet esprit, me dérober à votre face ? » il cherche un lieu pour échapper à la colère du Seigneur. Où pourra-t-il s’en aller, celui qui veut fuir le Seigneur ? Quand on recueille un fugitif, on lui demande quel maître il fuit, et si l’on reconnaît que c’est l’esclave d’un homme peu puissant, on le reçoit sans crainte ; on se dit alors : le maître de cet esclave ne saurait me rechercher. Mais si l’on reconnaît qu’il appartient à quelque maître puissant, on ne le reçoit point, ou du moins on ne le fait qu’avec crainte. Car un homme, fût-il puissant, peut encore être trompé. Mais où donc n’est pas Dieu ? Qui peut tromper Dieu ? qui peut se dérober à Dieu ? À qui Dieu ne pourra-t-il point reprendre son serviteur fugitif ? Où donc ira-t-il, ce fugitif, pour se dérober à la face de Dieu ? Il se tourne et se retourne, pour chercher où fuir.
11. « Si je monte vers les cieux, vous y êtes, si je descends dans l’abîme, vous voilà[2] ». Infortuné fugitif, tu le reconnais donc, tu ne saurais fuir bien loin de celui que tu veux fuir. Voilà qu’il est partout ; et toi, où iras-tu ? Mais dans son malheur, il lui vient une pensée, que lui inspire celui qui veut le rappeler dans sa bonté. « Si je monte vers le ciel, vous y êtes ; si je descends dans l’abîme, vous voilà ». Si je m’élève, je vous rencontre pour m’humilier ; si je me dérobe, je vous trouve pour me rechercher, et non seulement pour me rechercher, mais pour suivre mes pas. Si je m’élève dans ma justice, je vous rencontre, ô vous la justice véritable. Si le péché me plonge dans les profonds abîmes, dédaignant[3] l’aveu de mes fautes jusqu’à dire : « Qui m’a vu ? Car dans l’enfer qui vous confesse son péché[4] ? » voilà que je vous y rencontre comme vengeur. Où donc puis-je aller pour me soustraire à vos regards, c’est-à-dire pour ne point sentir votre colère ?
12. Voici donc le remède qu’il a trouvé. Ainsi, dit-il, je fuirai votre face, ainsi je fuirai votre Esprit : j’éviterai la vengeance de votre Esprit, la vengeance de votre face, par quel moyen ? « Si je prends mes ailes pour voler directement et habiter aux extrémités de la mer[5] ». C’est ainsi que je puis échapper à votre face. Mais est-ce bien aux extrémités de la mer qu’il faut aller pour éviter celui dont il est dit : « Si je descends dans l’abîme, vous voilà ? » Comment ne serait-il point aux extrémités des mers, celui qui est présent jusque dans les abîmes ? Mais je sais, dit-il, comment échapper à votre colère. Je prendrai mes ailes, non pour un vol oblique, mais pour un vol direct, de manière à ne point m’élever par un orgueil présomptueux, ni me plonger dans l’abîme du désespoir. Quelles sont dès lors les ailes qu’il veut prendre, sinon les deux ailes, les deux préceptes de la charité qui renferment la loi et les Prophètes[6] » ? Si je reprends, dit-il, ces ailes, pour m’enfuir aux extrémités des mers, je fuirai de votre face à votre face, de votre face irritée à votre face bénigne. Qu’est-ce, en effet, que l’extrémité des mers, sinon la fin des siècles ? C’est là qu’il faut diriger notre vol par l’espérance et le désir, avec les deux ailes de la charité. Point de repos pour nous que nous ne soyons aux extrémités de la mer. Nous reposer ailleurs, c’est tomber dans ses abîmes. Prenons notre essor jusqu’aux extrémités de la mer, suspendons-nous aux deux ailes de la charité : élevons-nous jusqu’à Dieu par l’espérance, et avec une espérance nourrie par la foi prévoyons cette extrémité de la mer.
13. Mais voyez, mes frères, celui qui nous conduira ; c’est celui-là même dont nous voulons fuir le visage irrité. Que dit en effet le Prophète ? « Si je descends au fond de l’abîme, vous voilà. Si je reprends mes ailes pour un vol direct ». « Si je reprends », dit-il : donc il avait perdu ces ailes. « Si je reprends mes ailes pour un vol direct, si j’habite aux extrémités de la mer, c’est votre main qui va m’y conduire, votre droite m’y amener[7] ». Méditons ces paroles, mes frères bien-aimés ; qu’elles soient notre espérance, notre consolation. Reprenons par la charité ces ailes que la convoitise nous a fait perdre. La convoitise est pour nos ailes une glu qui nous a privés de liberté dans notre essor, c’est-à-dire privés de ces souffles de liberté que donne l’Esprit de Dieu. Arrachés à ces courants, nous avons perdu nos ailes pour tomber en quelque sorte sous la puissance de l’oiseleur. Or, c’est de là que nous a rachetés par son sang celui que nous avons fui pour être

  1. Sag. 1,7
  2. Ps. 138,8
  3. Prov. 18,3
  4. Ps. 11,6
  5. Ps. 138,9
  6. Mt. 22,40
  7. Ps. 138,10