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sans doute, mais que l’on ne saurait comprendre sans un extrême plaisir. Moïse était pour Dieu un serviteur fidèle, et Dieu conversait avec lui dans la nuée, en lui tenant un langage sensible : il lui parlait par l’entremise de quelque créature, c’est-à-dire qu’il ne lui parlait point par sa propre substance, mais en prenant une figure corporelle qui formait des sons, et des sons capables d’arriver à l’oreille d’un homme. Car c’est ainsi que Dieu lui parlait, et non comme il le fait dans sa substance. Comment parle-t-il dans sa substance ? La parole de Dieu est le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu, c’est le Christ ce Verbe n’est point sonore et passager, mais il demeure d’une manière immuable, ce Verbe par qui tout a été fait[1]. C’est à ce Verbe, qui est aussi la sagesse de Dieu, qu’il est dit : « Vous les changerez, et ils seront changés, mais pour vous, vous demeurez le même[2] ». Et dans un autre endroit, l’Écriture a dit de la Sagesse : « Immuable en elle-même, elle renouvelle toutes choses[3] ». Cette Sagesse donc, toujours stable, si l’on peut parler ainsi, ce que l’on fait parce qu’elle ne change pas, et non qu’elle soit immobile ; cette Sagesse qui est toujours dans le même état, qui ne varie ni selon les temps ni selon les lieux ; qui n’est point ici d’une manière, et là d’une autre manière, ni maintenant autre qu’auparavant, c’est la parole de Dieu. Lis cette parole qu’entendait Moïse arrivait à l’homme par le moyen des syllabes et des sons passagers ; et cela n’aurait point lieu si Dieu ne prenait quelque forme créée pour émettre ces paroles. Moïse donc savait que celte parole de Dieu lui arrivait par des créatures intermédiaires et corporelles : or, il désira de voir la face même de Dieu, et il dit à Dieu qui parlait avec lui : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi ». Son désir était violent, et à la faveur de cette familiarité dont Dieu l’honorait, si l’on peut ainsi parler, il voulait lui arracher cette grâce de voir sa majesté, sa face, autant que l’on peut dire face en parlant de Dieu. Mais le Seigneur lui répondit : « Tu ne saurais voir ma face ; car l’homme ne me verra point sans mourir, mais je te placerai dans le creux d’un rocher, et je passerai, et te couvrirai de ma main : quand je serai passé, tu me verras par-derrière[4] ». Ces paroles toutefois ont donné lieu à une autre énigme, ou obscurité : « Quand je serai passé, tu me verras par-derrière », dit le Seigneur, comme s’il avait d’une part une face, et d’autre part un dos. Loin de nous de concevoir de telles pensées d’une si incomparable majesté. Pour un homme qui aurait de telles pensées, qu’importe que les temples soient fermés ? il se formerait une idole dans son cœur. Il y a donc dans ces paroles un grand symbole. Le Seigneur parlait à son, serviteur, avons-nous dit, par l’intermédiaire de telle forme créée qu’il lui plaisait, et dans laquelle nous entrevoyons la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa nature divine, est égal au Père, invisible comme le Père aux yeux des hommes. Car si la sagesse des hommes est invisible aux yeux de la chair, comment pourraient-ils voir la Sagesse de Dieu ? Mais comme au temps marqué le Seigneur devait prendre notre chair, et se rendre visible aux yeux de la chair, afin de guérir intérieurement notre esprit quand il faudrait nous apparaître de la sorte, voilà qu’il prédit ceci à Moïse d’une manière figurée, en disant : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé tu me verras par-derrière ». Je te couvrirai de ma main afin que tu ne puisses voir ma face. Mais, pour le Seigneur, quel est le sens de passer, sinon ce que nous dit l’Évangéliste : « Quand vint l’heure pour Jésus de passer de ce monde à son Père[5] ? » Pâques, en effet, signifie passage. Car Pâques, en hébreu, se traduit en latin par transitus ou passage. Que signifie néanmoins : « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par-derrière ? » Qui donc figurait Moïse, quand il lui dit : « Tu ne verras pas ma face, mais tu me verras par-derrière, et cela quand je passerai ; et de peur que tu ne voies ma face, je mettrai ana main sur toi ? » Il appelle sa face ce qui a d’abord paru de lui, et le voir par-derrière c’est voir son passage de ce monde à l’heure de sa passion. Il apparut aux Juifs, et ils ne le connurent point. Ce sont eux que figurait Moïse quand on lui disait : « Tu ne saurais voir ma face ». Mais pourquoi ne l’ont-ils pas connu dans sa chair ? Parce que la main de Dieu s’était appesantie sur eux. Le prophète Isaïe avait dit en effet « Appesantis le cœur de ce peuple, et obscurcis ses yeux[6] ». Et ce sont eux qui ont

  1. Jn. 1,3
  2. Ps. 101,27
  3. Sag. 7,27
  4. Exod. 33,9-23
  5. Jn. 13,1
  6. Isa. 6,10