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patrie, ou tu es dans l’affliction. Où est l’homme sans affliction, et qui ne désire être avec ce qu’il aime ? Mais d’où vient que tu ne trouves point là une affliction ? C’est que tu es sans amour. Aime l’autre vie, et tu verras que celle-ci n’est que tribulation : quel qu’en soit l’éclat, de quelques délices qu’elle nous rassasie et nous fasse regorger ; tant que nous ne goûterons pas cette joie qui n’est mêlée d’aucune tentation et que Dieu nous réserve pour la fin, nous sommes dans la tribulation. Comprenons donc, mes frères, la douleur qui fait dire : e Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Son langage ne signifie point r S’il m’arrivait quelque tribulation, vous m’en délivreriez. Que veut-il dire alors ? « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie » : c’est-à-dire, vous ne me donnerez la vie qu’à la condition que je marcherai au milieu de la tribulation. « Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie. Malheur à celui qui rit, bienheureux ceux qui pleurent[1]. Si je marche au milieu de la tribulation, vous me donnerez la vie ».
13. « Vous avez étendu votre main plus que mes ennemis furieux, et votre droite m’a sauvé ». Que ces ennemis frémissent de rage, que peuvent-ils contre moi ? Me voler, me dépouiller, me proscrire, m’envoyer en exil, me faire passer par les tourments et par la douleur ; et enfin, s’il leur est permis, me donner la mort. Peuvent-ils aller plus loin ? Mais vous, Seigneur, « vous avez étendu votre main contre ces ennemis furieux » : cette main, vous l’avez étendue au-delà de tout ce qu’ils peuvent me faire. Ils ne peuvent en effet me séparer de vous ; mais votre vengeance va plus loin, puisque vous me tenez encore éloigné : « Vous avez étendu votre main contre mes ennemis furieux ». Que mon ennemi s’arme de fureur, il ne me sépare point de mon Dieu. Mais vous, Seigneur, vous tardez encore de m’unir à vous ; dans l’exil, vous me châtiez encore, vous me sevrez encore de vos joies et de vos douceurs ; vous ne m’enivrez pas encore de l’abondance de votre maison, et ne m’abreuvez pas au torrent de vos délices. « C’est en vous qu’est la source de la vie, et c’est à votre lumière que nous verrons la lumière[2] ». Mais voici que je vous ai consacré les prémices de mon esprit, je crois en vous, et suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu[3] : cependant nous gémissons encore intérieurement, dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps[4]. À nous pécheurs, Dieu a donné cette vie dans laquelle Adam doit être accablé, travailler à la sueur de son front, tandis que la terre ne produit que des chardons et des épines[5]. Quel ennemi eût pu nous accabler davantage ? « Votre main, ô mon Dieu, s’est donc étendue sur moi, plus encore que la colère de mes ennemis », non toutefois jusqu’à me pousser au désespoir, car nous lisons ensuite : « Et votre droite m’a sauvé ».
14. On pourrait comprendre toutefois : « Vous avez étendu votre main sur la colère de mes ennemis », en ce sens que mes ennemis s’irritaient, et que votre main m’a vengé de leur colère. « Le pécheur verra et frémira, il grincera des dents et séchera de dépit[6] ». Où sont-ils ceux qui criaient : Plus de chrétiens sur la terre, périsse leur nom ! Ils sont morts ou convertis. Donc, « vous avez u étendu votre main contre la colère de mes ennemis », pendant que, selon la parole du Psalmiste, « ces ennemis m’accablaient d’outrages. Quand mourra-t-il ? Quand périra « son nom[7] ? » Quand le nom chrétien disparaîtra-t-il de la terre ? Ainsi disaient-ils, et déjà une partie a embrassé la foi, une partie a disparu ; le peu qui reste est dans la crainte. Quelle n’était point la colère de nos ennemis quand le sang des martyrs coulait de toutes parts ? Comme ils se promettaient alors d’exterminer de la terre jusqu’au nom des chrétiens ! « Vous avez étendu votre main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Voilà que les persécuteurs des martyrs s’enquièrent aujourd’hui des fêtes des martyrs, ou pour y adorer Dieu, ou pour s’y enivrer ; mais ils les recherchent. « Vous avez étendu la main contre la colère de mes ennemis, et votre droite m’a sauvé ». Elle m’a procuré le salut que je désirais. Il y a un salut qui appartient à la droite du Seigneur, comme il y a un salut qui appartient à la gauche. C’est dans la gauche qu’est le salut temporel et charnel, et dans la droite le salut éternel avec les anges : aussi est-il dit que le Christ est assis à la droite de Dieu[8], maintenant qu’il est immortel. Sans doute il

  1. Lc. 6,21
  2. Ps. 35,9-10
  3. Rom. 7,25
  4. Id. 8,23
  5. Gen. 3,18-19
  6. Ps. 111,10
  7. Id. 40,6
  8. Mc. 16,19