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Parce que je ne demande plus une félicité terrestre ; mais le nouveau Testament m’apprend à former de saints désirs. Je ne demande ni la terre, ni une fécondité charnelle, ni la santé passagère, ni l’humiliation de mes ennemis, ni les richesses, ni les honneurs ; je ne veux rien de cela : « hâtez-vous donc de me secourir. » Donnez-moi ce que je demande, puisque vous m’avez appris ce que je dois demander. Disons au Prophète : Est-ce là ce que vous demandez ? Écoutons à notre tour, qu’il dise de quoi son cœur est gros, et voyons ce qu’il demande ; apprenons de lui à demander, pour mériter de recevoir. Tu es venu à l’église aujourd’hui faire je ne sais quelle demande ; de bonne foi, qu’es-tu venu demander ? Tu avais dans le cœur je ne sais quel désir : puisse-t-il être innocent, bien que charnel ! Mais arrière ce qui est injuste, arrière ce qui est charnel ! Apprends ce qu’il faut demander, ce que tu célèbres aujourd’hui. Tu célèbres la mémoire d’une sainte et bienheureuse femme, et tu aspires peut-être à une félicité terrestre. Embrasée du désir de la sainteté, elle renonça au bonheur qu’elle avait ici-bas : elle abandonna ses enfants qui pleuraient leur mère et l’accusaient de cruauté, parce que, dans son impatience de recevoir la couronne céleste, elle s’était dépouillée en quelque sorte de toute pitié humaine. Or, ne savait-elle point ce qu’elle désirait, ce qu’elle foulait aux pieds ? Loin de là, elle savait chanter devant les anges de Dieu, aspirer à leur société, à leur amitié chaste et pure, où elle ne connaîtrait plus la mort, mais le juge qui ne saurait être surpris par aucun mensonge. Une telle vie est-elle donc dénuée de tout bien ? Au contraire, c’est là qu’est le seul bien, le bien qui n’est mélangé d’aucun mal, dont on jouit en toute sécurité, avec une entière avidité, sans que nul nous dise : Modérez-vous. Ici-bas il est fâcheux, il est même très dangereux de nous réjouir de nos biens terrestres, de peur que cette complaisance ne devienne de l’attachement, que cette joie immodérée ne soit notre perte. Pourquoi, en effet, Dieu prend-il soin de mêler aux joies de cette vie quelques tribulations, sinon afin que ces tribulations et ces amertumes nous apprennent à n’aspirer qu’aux délices éternelles ?
8. Voyons donc ce que demande le Prophète, ce qui lui fait dire avec raison : « Hâtez-vous de m’exaucer ». Que demandez-vous, ô Prophète, pour que Dieu vous exauce promptement ? « Vous me multiplierez ». Cette multiplication peut s’entendre en bien des sens. Il y a multiplication dans la génération terrestre, selon cette première bénédiction donnée à notre nature, et que nous avons entendue : « Croissez et multipliez, emplissez la terre, et soumettez-la[1] ». Est-ce bien cette multiplication que voulait David quand il disait : « Hâtez-vous de m’exaucer ? » Il est vrai que cette multiplication a son avantage, et ne vient que de la bénédiction du Seigneur. Que dirai-je des autres sens de multiplier ? Chez l’un, c’est l’or qui se multiplie ; chez l’autre, c’est l’argent ; ici c’est le bétail, et là c’est la famille ; celui-ci voit ses terres se multiplier, celui-là tous ces biens à la fois. Il est plusieurs manières de se multiplier sur la terre ; la plus heureuse est de voir ses enfants se multiplier : et toutefois, pour l’homme avare, cette fécondité même devient incommode ; il redoute la pauvreté pour ceux qui naissent en grand nombre. Cette sollicitude en a poussé beaucoup à l’impiété : oubliant qu’ils étaient pères, ils se sont dépouillés de tout sentiment d’humanité, jusqu’à exposer leurs enfants, et en faire des étrangers ; une mère rejette son fils que recueille celle qui n’est pas mère, l’une affectant le mépris, l’autre l’amour ; l’une vainement mère selon la chair, l’autre plus véritablement mère par la charité. Si donc il y a tant de multiplications, tant de manières de multiplier, quelle est cette multiplication qui fait dire au Prophète : « Hâtez-vous de m’exaucer ? – Vous « me multiplierez », dit-il. Nous sommes impatients de savoir en quoi. Écoutons alors : « Dans mon âme », dit-il. Non pas dans ma chair, mais dans mon âme : « c’est dans l’âme que je serai multiplié ». Peut-on rien ajouter, et la multiplication à l’égard de l’âme serait-elle bien un bonheur sans retard ? C’est dans l’âme, en effet, que les soins se multiplient pour l’homme, et l’on pourrait le croire encore multiplié dans son âme quand les vices y sont nombreux, Celui-ci n’est qu’avare, celui-là qu’orgueilleux, cet autre que libertin ; mais tel autre est tout à la fois avare, et orgueilleux, et libertin ; il y a donc multiplication dans son âme, et pour son malheur. Cette multiplication est plutôt la

  1. Gen. 1,28