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ses serviteurs, que peut-on dire d’une idole, sinon qu’elle est méprisable et non adorable ? Pour nous porter à couvrir d’un souverain mépris toutes ces idoles des nations, peut-être croirons-nous que le Prophète aurait dû dire : Les idoles des nations sont du bois et de la terre, du gypse ? Je ne parle point ainsi, nous dit le Prophète, ces matières sont trop viles ; mais je désigne ce qui est pour les hommes un objet d’amour, ce qu’ils regardent comme précieux, et je dis : « Les idoles des nations sont de l’or et de l’argent[1] ». C’est bien de l’or, c’est bien de l’argent. Mais parce qu’il y a du brillant dans l’argent, du brillant dans l’or, ont-ils vraiment des yeux pour voir ? Comme c’est de l’or, comme c’est de l’argent, cela peut être utile à un avare, mais non à l’homme religieux, ou plutôt cela n’est pas utile même à l’avare, seulement à l’homme qui sait s’en servir, qui sait le donner pour acquérir le trésor du ciel ; mais enfin, puisque l’or et l’argent sont inanimés, pourquoi donc, ô hommes, en faire des dieux ? Ne voyez-vous pas que ces dieux que vous fabriquez ne voient point ? « Ils ont des yeux et ne verront pas ; ils ont des oreilles, et n’entendront pas ; ils ont des narines, et ne sentiront pas ; ils ont une bouche, et ne parleront point ; ils ont des mains, et n’en feront rien ; ils ont des pieds, et ne marcheront point[2] ». Un artisan peut faire tout cela, un argentier, un orfèvre a pu faire des yeux, des oreilles, des narines, une bouche, des mains et des pieds ; mais ce qu’il n’a pu donner, c’est la lumière aux yeux, ni l’ouïe aux oreilles, ni la voix à la bouche, ni l’odorat aux narines, ni la marche aux pieds.
24. O homme, tu ris de ton ouvrage, si tu connais celui qui t’a fait, Mais qu’est-il dit de ceux qui ne le connaissent pas ? « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui y mettent leur confiance[3] ». On croirait, mes frères, qu’il se forme dans ces hommes une certaine ressemblance avec les idoles, non point dans leur chair, sans doute, mais dans l’homme intérieur. Car ils ont des oreilles et n’entendent point, car c’est pour eux que Dieu crie : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre[4]. Ils ont des yeux et ne voient point » ; car ils ont assurément les yeux du corps, mais non les yeux de la foi. Enfin on voit celte prophétie accomplie dans toute la terre. Voyez en effet ce qu’a dit le Prophète ; il n’y a rien d’allégorique, rien de figuratif. Écoutez une prophétie dans le sens propre, très simple et très clair, et voyez comme elle s’est accomplie. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a prévalu contre eux[5] » ; ainsi dit Sophonie. C’est contre ceux qui lui résistaient, qui s’obstinaient, qui égorgeaient les fidèles, et faisaient des martyrs sans le savoir, que « le Seigneur a prévalu ». Et comment a-t-il prévalu ? C’est dans son Église que nous voyons à quel point il a prévalu contre eux. Ils voulaient faire disparaître les chrétiens peu nombreux, les tuer ; ils ont répandu leur sang, et le sang de ces hommes égorgés a produit une telle moisson de chrétiens, que les martyrs sont devenus supérieurs à leurs bourreaux. Ils ont d’abord tué les chrétiens pour soutenir leurs idoles, et ces idoles, ils cherchent maintenant un lieu pour les abriter. Le Seigneur n’a-t-il donc point prévalu contre eux ? Vois si Dieu ne fait point ce qui vient après cette parole : « Le Seigneur a prévalu contre eux ? » Qu’a-t-il fait selon le Prophète ? « Il a exterminé tous les dieux des nations de la terre ; chacun l’adorera dans les lieux où il se trouve, toutes les îles des nations l’adoreront[6] ». Qu’est-ce que tout cela, mes frères ? Cela n’est-il pas prédit ? Cela n’est-il pas accompli ? Nos yeux ne le voient-ils pas comme ils le lisent ? Quant à ceux qui sont demeurés dans l’idolâtrie, ils ont des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Ils ne sentent point cette odeur dont l’Apôtre a dit : « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur du Christ[7] ». Que leur sert d’avoir des narines, et de ne point sentir l’odeur du Christ, odeur si suave ? C’est bien en eux que s’accomplit, et pour eux qu’est dite cette parole : « Que tous ceux qui les font leur deviennent semblables, et u tous ceux qui y mettent leur confiance ».
25. Mais chaque jour les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ leur font embrasser la foi ; chaque jour s’ouvrent les yeux des aveugles et les oreilles des sourds ; chaque jour revient l’odorat à ceux qui n’en avaient point, la langue des muets se délie, les mains des paralytiques reprennent le mouvement, les pieds des boiteux se redressent, et de ces pierres sortent les enfants d’Abraham, à qui

  1. Ps. 134,15
  2. Id. 16,17
  3. Id. 18
  4. Mt. 11,15
  5. Soph. 2,11
  6. Id.
  7. 2 Cor. 2,15