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quelle ferveur dans le service de Dieu, quelle innocence dans sa vie ! Qu’y a-t-il d’étonnant c’est un charbon. Tu le pleurais éteint, et tu le vois rallumé avec plaisir. Mais en louant ce charbon vif, si tu peux le faire sagement, mets-le près d’un charbon éteint ; c’est-à-dire, voilà un homme lent à suivre Dieu approche de lui un charbon autrefois éteint, prends la flèche de la parole de Dieu et ni charbon désolant pour t’opposer aux lèvres injustes et à la langue trompeuse.
6. Qu’arrive-t-il, ensuite ? Cet homme reçu les flèches ardentes, qu’il reçoive encore les charbons dévastateurs. Il a repoussé la langue trompeuse, les lèvres iniques ; il a fait un pas, il commence à marcher, mais il est encore au milieu des méchants, des hommes d’iniquité ; le van n’a point encore passé dans l’aire : le froment est formé sans douter mais est-il dans les greniers ? Il faut qu’il soit renfermé sous des monceaux de paille, et plus il avance, plus il voit de scandales dans le peuple de Dieu. Car, à moins d’avancer, il ne voit point les iniquités ; à moins d’être un véritable chrétien, il ne peut remarquer ceux qui n’en ont que l’apparence. Jésus-Christ, en effet, nous l’apprend par la parabole du bon grain et de l’ivraie : « Après que l’herbe u eut poussé et produit son fruit, on découvrit aussi l’ivraie[1] » : c’est-à-dire, que nul homme ne découvre les méchants, si lui-même n’est devenu bon, puisque « l’ivraie ne parut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit ». Notre interlocuteur s’avance donc, il voit les méchants et bien des désordres qu’il ne découvrait point auparavant, et il s’écrie vers le Seigneur : « Malheur à moi ! car mon exil a été prolongé[2] ». Je me suis beaucoup éloigné de vous, ô mon Dieu ; mon séjour ici-bas est bien prolongé ! Je ne suis point encore dans cette patrie où je ne verrai aucun méchant ; je ne suis point encore dans cette société des anges où je ne craindrai plus de scandales. Pourquoi n’y suis-je point encore ? C’est que u mon pèlerinage s’est prolongé ici-bas ». Mon séjour est un exil. Ou appelle exilé celui qui habite une terre autre que sa patrie. « Mon exil », dit le Prophète, « est devenu bien long ». Pourquoi si long ? Quelquefois, mes frères, un homme, qui se trouve en pays étranger, rencontre des hommes plus dévoués qu’il n’en trouvait dans sa patrie ; mais il n’en est pas ainsi quand nous sommes hors de cette Jérusalem du ciel. L’homme qui change de patrie se trouve quelquefois mieux dans l’éloignement ; il trouve au loin des amis dévoués qu’il n’aurait pu rencontrer chez lui, Des ennemis l’ont banni de sa patrie, et sur la terre étrangère il trouve ce qu’il n’avait point trouvé dans sa patrie. Il n’en est pas ainsi de notre patrie, qui est Jérusalem ; on n’y rencontre que des justes ; quiconque est en dehors est parmi les méchants, dont il ne peut se séparer, qu’en rentrant dans la société des anges, qu’en retournant au lieu qu’il avait quitté. C’est là que sont tous les justes et tous les saints qui jouissent de la parole de Dieu ; sans la lire au moyen de caractères, fis découvrent sur la face de Dieu ce que nous trouvons sur les pages de nos livres. Admirable patrie ! O grande patrie, combien il est malheureux d’en être éloigné !
7. Mais ce cri du Prophète : « Bien long est mon exil ici-bas », c’est surtout le cri de l’Église qui souffre sur cette terre ; c’est le cri de celle qui dans un autre psaume dit à Dieu : « Des confins de la terre j’ai crié vers vous[3] ». Qui de nous pousse des cris des confins de la terre ? Ce n’est ni celui-ci, ni toi, ni moi mais c’est l’Église entière, c’est l’héritage entier du Christ qui crie vers Dieu des confins de la terre, car l’Église est l’héritage du Christ, et c’est de l’Église qu’il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ton empire ». L’héritage du Christ embrasse les confins de la terre, et l’héritage du Christ embrasse tous les saints, et tous les saints ne forment qu’un seul homme en Jésus. Christ, puisque c’est dans Jésus-Christ que se trouve l’unité ; et cet homme unique s’écrie « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon cœur était dans l’angoisse »[4]. Cet homme donc trouve son exil bien long parmi les méchants. Et comme si on lui demandait : Chez quels hommes demeurez-vous, pour gémir de la sorte ? « Mon pèlerinage est bien long », répond-il. Mais, direz-vous, s’il est avec des bons ? S’il était avec les bons, il ne dirait point : Malheur à moi ! Ce mot « hélas », ou « malheur », désigne l’affliction, la misère ; et néanmoins il n’est point sans espérance dès lors qu’il a appris à gémir.

  1. Mt. 13,26
  2. Ps. 119,5
  3. Ps. 60,3
  4. Id. 2,8