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œuvres. Or, le Prophète connaissant la grandeur de Dieu, et voyant sa supériorité sur toute créature, non seulement corporelle, mais spirituelle, s’écrie qu’il est « le grand roi, sur tous les dieux ». C’est lui le Dieu souverain, qui n’a aucun Dieu au-dessus de lui-même. Qu’il nous raconte ses œuvres, qui sont à notre portée.
10. « Le Seigneur a fait selon sa volonté, dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes[1] » Qui peut comprendre ces choses ? qui peut énumérer les œuvres du Seigneur dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes ? Et toutefois si nous ne pouvions tout comprendre, au moins devons-nous croire fermement que dans le ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, tout ce qu’il y a de créatures vient de Dieu : parce que c’est lui qui a tout fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes, ainsi que nous l’avons dit. Il n’a fait par contrainte aucune de ses œuvres, mais « il a fait tout ce qu’il lui a plu de faire ». Sa volonté seule a été la cause de toutes ses œuvres. Voilà que tu bâtis une maison ; mais si tu n’en voulais point bâtir, tu demeurerais sans abri ; c’est donc la nécessité qui te force de bâtir cette maison, et non pas une volonté libre. Tu fais un vêtement ; mais si tu ne le faisais, tu marcherais tout nu. C’est donc la nécessité, et non pas une volonté libre, qui t’amène à faire ce vêtement. Il en est de même quand nous plantons une vigne sur des coteaux, quand nous jetons une semence en terre ; si nous ne le faisions, nous manquerions de nourriture : tout cela est l’œuvre de la nécessité. Dieu agit par bonté et n’a besoin d’aucune de ses œuvres. « Il a donc fait ce qu’il a voulu ».
11. Est-il une œuvre que nous fassions par une volonté libre ? Car tout ce que nous avons énuméré est l’œuvre de la nécessité si nous ne l’eussions fait, il nous eût fallu demeurer dans la pauvreté, dans l’indigence. Trouverons-nous quelque chose qui soit l’œuvre de notre volonté libre ? Oui, assurément, c’est quand nous louons Dieu par amour. Car tu fais cela d’une volonté libre, quand tu aimes ce que tu loues ; ce n’est point l’effet de la nécessité, mais du plaisir que tu y trouves. De là vient que les justes et les saints ont trouvé de la douceur en Dieu, même quand il les châtiait ; il leur plaisait même dans ce qui inspire à l’injuste de la répulsion et sous le fléau de Dieu, dans l’affliction, dans les peines, dans les plaies, dans la pauvreté, ils bénissaient Dieu ; sa conduite même sévère ne leur a point déplu. C’est là aimer gratuitement, et non par l’appât d’une récompense ; car Dieu que nous aimons gratuitement sera lui-même notre suprême récompense : et tu dois l’aimer de manière à ne pas cesser de le désirer pour récompense, puisque lui seul peut te rassasier ; c’est ce que Philippe désirait quand il disait : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit[2] ». Et c’est avec raison, puisque nous le faisons par une volonté libre, et que nous devons le faire librement ; puisque nous le faisons par attrait, nous le faisons avec amour : et quand même il nous châtierait, il ne doit pas nous déplaire, puisqu’il est toujours juste. C’est là ce que nous dit le Prophète en chantant ses louanges : « Seigneur, les vœux que je vous offrirai sont dans mon cœur, et les louanges que je dois vous rendre[3] ». Et ailleurs : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires[4] ». Qu’est-ce à dire, « je vous offrirai des sacrifices volontaires ? » Je vous bénirai de bonne volonté. Car « c’est le sacrifice de louanges, dit le Seigneur, qui me glorifiera »[5]. Si l’on te forçait d’offrir à ton Dieu un sacrifice qui lui fût agréable et selon la loi, comme l’on offrait autrefois des sacrifices qui figuraient l’avenir, tu ne saurais peut-être trouver dans tes troupeaux un taureau convenable, et parmi tes chèvres un bouc qui fût digne de l’autel du Seigneur, ni dans tes étables un bélier qui pût être offert en sacrifice ; et dans ton impuissance à trouver ce que tu dois faire, tu dirais peut-être à Dieu : J’ai voulu, mais je n’ai pu. Mais en fait de louanges, oseras-tu dire : J’ai voulu, et je n’ai pu ? Vouloir, c’est une louange. Car Dieu ne demande point tes paroles, mais ton cœur. Car enfin, tu pourrais dire : Je n’ai point de langue. Qu’un homme devienne muet par quelque maladie, il n’a point de langue et n’en loue pas moins le Seigneur. Si le Seigneur avait des oreilles de chair, s’il avait besoin que la voix résonnât pour l’entendre, n’avoir plus de langue, ce serait n’avoir plus de louanges à lui offrir ; mais comme c’est le cœur qu’il cherche et le cœur qu’il regarde, il est

  1. Ps. 134,8
  2. Jn. 14,8
  3. Ps. 55,12
  4. Id. 53,8
  5. Id. 49,23