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pour être bon, n’a pas besoin d’un autre, tandis que toutes les créatures ont besoin de lui pour être bonnes. Voulez-vous entendre comment sa bonté lui est propre ? Comme on interrogeait le Seigneur, il répondit : « Nul n’est bon si ce n’est Dieu seul[1] ». Telle est cette bonté particulière à Dieu, sur laquelle je ne veux point passer légèrement, et que je ne puis néanmoins suffisamment vous expliquer. Je crains d’être condamné comme ingrat, si je ne fais que l’effleurer : et je crains aussi de succomber sous le poids des louanges de Dieu, si j’entreprends de l’expliquer. Écoutez néanmoins, mes frères, et les louanges que je lui donne, et l’aveu de mon insuffisance, de sorte que mes louanges, fussent-elles incomplètes, ma bonne volonté du moins lui soit agréable. Qu’il accepte ma bonne volonté, et pardonne à mon impuissance.
4. Je me sens pénétré d’une indicible douceur quand j’entends dire : « Le Seigneur est bon » ; et après avoir considéré et parcouru des yeux toutes les créatures extérieures, après avoir compris que toutes viennent de Dieu, quelque plaisir qu’elles me causent, je reviens à Dieu qui en est l’auteur, afin de comprendre « combien le Seigneur est bon ». Mais dès que je pénètre en lui-même, autant qu’il m’est possible, je trouve qu’il m’est plus intérieur que moi-même, et bien supérieur à moi-même, puisqu’il est tellement bon qu’il n’a besoin de rien pour être bon. Sans lui, je ne saurais louer les créatures ; mais sans les créatures, je trouve qu’il est parfait, qu’il n’a besoin de rien, qu’il est immuable, qu’il n’a recours au bien de personne pour devenir meilleur, qu’il rie redoute aucun mal qui pourrait l’amoindrir. Et que dirai-je encore ? Parmi les créatures, je trouve que le ciel est bon, que le soleil est bon, que la lune est bonne, que les étoiles sont bonnes, que la terre est bonne, que tout ce qu’elle produit et soutient par les racines est bon ; que tout ce qui marche et se meut est bon, que tout ce qui vole dans les airs, ou nage dans les eaux est bon. J’ajoute même que l’homme est bon : car « du bon trésor de son cœur, l’homme bon tire de bonnes choses[2] ». Je dis que l’ange est bon, non point cet ange qui est tombé par orgueil, et qui s’est fait diable ; mais celui qui adhère à son Créateur par l’obéissance. Je dis que toutes ces créatures sont bonnes, mais j’y joins en même temps leurs noms ; le ciel est bon, l’ange est bon, l’homme est bon : quant à Dieu, je ne saurais mieux l’appeler que le bien. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a dit : « L’homme est bon[3] » ; et aussi : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul[4] ». N’était-ce point nous stimuler à chercher et à distinguer entre le bien qui est tel par un autre bien, et le bien par lui-même ? Combien donc est bon celui qui donne la bonté à tout ce qui est bon ! Tu ne saurais trouver aucun bien qui ne tire de lui sa bonté. Comme ce bien qui donne la bonté, existe par lui-même, il a aussi sa bonté par lui-même. On ne saurait dire des œuvres qu’il a faites, qu’elles n’existent point ; et on ne lui, fait pas injure en disant des œuvres qu’il a faites qu’elles ne sont point. Pourquoi les eût-il faites si elles n’existent point ? ou qu’aurait-il fait, si ce qu’il a fait n’est point ? Tout ce qu’il a fait existe donc ; mais comparant à Dieu même ce qui est son œuvre, Dieu a dit de lui comme si lui seul existait : « Je suis celui qui suis » ; et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui « qui est m’a envoyé vers vous[5] ». Il ne dit point : C’est le Seigneur tout-puissant, miséricordieux, juste. En le disant, il dirait vrai, mais il retranche tous ces attributs par lesquels on pourrait le désigner et le dire Dieu, pour affirmer qu’il s’appelle celui qui est ; et comme si tel était son nom, « voici », dit-il, « ce que tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Dieu est, en effet, de telle sorte que toutes ses créatures comparées à lui ne sont point. Hors de là, elles sont, puisqu’il les a faites. Mais comparées à lui, elles ne sont point : car être véritablement, être sans changement, il n’y a que Dieu qui soit ainsi. Il est, en effet, celui qui est, comme le bien des biens est le bien. Considérez et voyez que dans tout ce que vous louez en dehors de lui, c’est la bonté que vous louez. Louer ce qui n’est pas bon est une folie. Louer un homme injuste à cause de son injustice, n’est-ce pas être injuste ? Louer un voleur à cause de ses larcins, n’est-ce pas y prendre part ? De même que louer un juste à cause de sa justice, c’est s’associer à lui, du moins par la louange ? Car tu ne louerais pas l’homme juste, si tu ne l’aimais ; et tu ne l’aimerais

  1. Mt. 19,17
  2. Id. 12,35
  3. Mt. 19,35
  4. Mc. 10,18
  5. Exod. 3,14