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la sainte fraternité n’a point péri, parce que des hommes se donnent pour ce qu’ils ne sont point. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne me trompe, renferment des bons et des méchants. C’est de ces trois genres de vie qu’il est dit « Deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre sera laissé[1] ; « deux seront dans un lit, l’un sera pris, l’autre laissé ; deux femmes à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée[2] ». Ceux-là sont dans un champ, qui gouvernent l’Église. De là ce mot de l’Apôtre, et voyez s’il n’était pas dans un champ : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement[3]3 ». Par ceux qui sont dans un lit, l’Évangile entend ceux qui aiment le repos, car le symbole du repos c’est un lit ; ceux qui ne se mêlent point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité : et pourtant l’un sera pris et l’autre sera laissé. Il y a des bons comme il y a là des méchants. Ne vous étonnez pas que l’on trouve là des réprouvés, il y en a quelquefois de cachés qu’on ne découvrira qu’à la fin. Deux sont à la meule, et il désigne ici des femmes, parce qu’il a voulu indiquer les gens du monde. Pourquoi à la meule ? Parce qu’ils sont dans le monde comme dans un moulin. Le monde, en effet, tourne comme une meule ; malheur à ceux qu’elle brise. Les bons d’entre les fidèles y sont de telle sorte, que l’un périt et l’autre se sauve. Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs et dissimulés. D’autres y sont, comme le dit l’Apôtre : « Usant du monde comme s’ils n’en usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez sans inquiétude[4] ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés dans plus d’affaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois, il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes ; et c’est d’eux qu’il est dit « Qu’un chameau passera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux[5] ». Et comme les Apôtres s’affligeaient au sujet de ceux dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler : « Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu[6] ». Comment Dieu nous rend-il cela facile ? Écoute l’Apôtre, et ne néglige pas ses préceptes : « Ordonnez aux riches du siècle », dit-il, « de n’être point orgueilleux[7] ». Car on trouve souvent un pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère avec raison que toutes les choses d’ici-bas passent et s’écoulent, qu’il n’a rien apporté en ce monde, qu’il n’en saurait rien emporter ; qui médite sur le riche de l’Évangile, brûlant dans les flammes de l’enfer, et demandant qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui tombaient de sa table[8]. Ceux qui méditent ces vérités suivent l’avis de l’Apôtre : « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes œuvres, qu’ils donnent facilement, et s’amassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en reviendra-t-il ? « Qu’ils s’amassent un trésor et un bon fondement pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable[9] ». Voilà celle qui sera prise à la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car l’une sera prise à la meule et l’autre sera laissée.
5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois personnes qui désignent bien ces trois catégories : « Quand le Seigneur jettera son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés[10] ». Ces justes étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne ceux qui gouvernent l’Église, parce qu’il gouverna l’arche au temps du déluge[11]. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, c’est-à-dire sans rechercher le mariage. C’était un homme saint, dont la vie s’écoulait en de saints désirs[12], qui passa par beaucoup d’épreuves, et qui fut trouvé comme l’or le plus pur. Quel n’était pas son calme,

  1. Mt. 24,40
  2. Lc. 17,34-35
  3. 1 Cor. 3,6
  4. Id. 7,31-32
  5. Mt. 19,24
  6. Mt. 19,26
  7. 1 Tim. 6,17
  8. Lc. 16,24
  9. 1 Tim. 6,19
  10. Ez. 14,13-16
  11. Gen. 7,14
  12. Dan. 10,11