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que nous retrouvons dans le peuple de Dieu ; les uns s’avancent, les autres demeurent en arrière. Tel est peut-être le sens des échelles, et pourtant on pourrait ne voir que des bons sur ces échelles, et ceux qui montent, et ceux qui descendent. Car ce n’est pas sans raison qu’on ne dit point qu’ils tombaient, mais qu’ils descendaient. Tomber et descendre sont bien différents. Adam tomba[1], et c’est pourquoi le Christ descendit. Le premier donc est tombé, mais le second est descendu ; l’un tomba par orgueil, l’autre descendit par miséricorde. Mais ce n’est point Jésus-Christ seul qui est descendu du ciel ; beaucoup d’autres saints descendent vers nous sur ses traces, et sont descendus vers nous. L’Apôtre était dans une habituelle exaltation du cœur, lui qui disait : « Soit que nous ayons des ravissements, c’est pour Dieu[2] ». Ainsi ses ravissements d’esprit étaient des ravissements en Dieu. S’élevant en effet au-dessus de toute fragilité humaine, de tous les siècles qui finissent, de tout ce qui ne vient au monde que pour s’évanouir par la mort, de tout ce qui passe, son cœur fixé en Dieu habitait autant qu’il lui était possible dans une indicible contemplation, dans laquelle « il ouït », dit-il, « des paroles ineffables, que l’homme ne saurait répéter[3] ». Mais, nonobstant l’impuissance de ses paroles, il n’en voyait pas moins en quelque manière ce qu’il ne pouvait nous redire. Toutefois, s’il eût voulu demeurer dans ce qu’il voyait sans pouvoir le redire, il n’aurait pu s’élever à cette hauteur et te faire voir ce qu’il voyait lui-même. Qu’a-t-il donc fait ? Il est descendu. Car il a dit au même endroit « Soit que nous ayons des extases, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous ». Or, qu’est-ce à dire que nous soyons plus calmes ? que nous parlions de manière à être compris par vous, Car le Christ en sa naissance et en sa passion s’est fait tel que les hommes pussent parler de lui, puisqu’un homme parle facilement d’un autre homme. Mais parler de Dieu dans son essence divine, comment un homme le pourrait-il ? Un homme parle donc facilement d’un homme, et dès lors, afin que ceux qui sont élevés en grandeur pussent descendre vers les petits, sans toutefois leur rien dire que de grand, celui qui est grand par excellence s’est fait petit, afin que les grands parlassent de lui aux petits. Vous venez d’entendre dans la lecture de saint Paul la vérité de cette parole ; car ainsi s’exprimait l’Apôtre, si vous y avez pris garde : « Je n’ai pu vous parler comme à des e hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels[4] ». C’est donc dans les hauteurs qu’il parle aux hommes spirituels, et il s’abaisse pour parler aux hommes. Et pour vous montrer que quand il s’abaisse, il parle de celui qui s’est abaissé, voici commue saint Jean parle du Christ demeurant en lui-même « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu, au commencement. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui[5] ». Saisis, si tu le peux ; prends, c’est là ton pain. Mais, diras-tu, c’est là un pain, je l’avoue, et cependant je ne suis qu’un enfant qui ai besoin de lait pour devenir capable de prendre une plus solide nourriture. Donc, parce qu’il te faut du lait, et que le Verbe est une nourriture solide, voilà qu’au moyen de la chair cette nourriture passe par ta bouche. De même qu’au moyen de la chair, la nourriture d’une mère devient un lait qu’elle transmet à son enfant ; de même le Seigneur, qui est la nourriture des anges, le Verbe s’est fait chair[6] pour devenir un lait. Et l’Apôtre a dit : « Je vous ai nourris de lait, et non de viandes solides, que vous n’eussiez pu supporter ; à présent même, vous ne le pouvez encore[7] ». Mais pour donner ce lait à des enfants, l’Apôtre est descendu à leur niveau, et, en s’abaissant ainsi, il leur a donné celui qui s’est abaissé. Car il s’écrie : « Me suis-je vanté au milieu de vous de savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié[8] ? » S’il eût dit simplement Jésus-Christ, ce Jésus-Christ est aussi dans sa divinité le Verbe qui était en Dieu, Jésus-Christ est le Fils de Dieu ; mais à ce point de vue les enfants ne sauraient l’atteindre. Comment donc pourront l’atteindre ceux qui ne sont capables que de lait ? Jésus-Christ, dit l’Apôtre, et Jésus-Christ crucifié. Sucez ce qu’il a daigné se faire pour vous, et vous croîtrez en ce qu’il est lui-même. Dans l’Église donc, les uns montent, les autres descendent ; et c’est par ces échelles qu’ils montent, par elles qu’ils descendent. Qui sont-

  1. Gen. 3,5
  2. 2 Cor. 5,13
  3. Id. 12,14
  4. 1 Cor. 3,1
  5. Jn. 1,1-2
  6. Id. 14
  7. 1 Cor. 3,2
  8. Id. 2,2