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pain solide, le pain des anges. Voilà le pair préparé pour toi ; mais prends de l’accroissement avec du lait, afin d’arriver à ce pair solide. Et comment, diras-tu, le lait va-t-il me donner de l’accroissement ? Commence par croire ce que Jésus-Christ s’est fait afin de s’accommoder à ta faiblesse, et tiens-y fermement. Considère une mère voyant son fils peu capable d’une nourriture solide, elle lui donne cette nourriture à la vérité, mais en la faisant passer par sa propre chair : car le pain qui nourrit l’enfant est celui-là même qui a nourri la mère ; mais l’enfant, incapable de manger à table, peut se nourrir à la mamelle ; le pain donc passe par les mamelles de la mère, et devient ainsi l’alimentation de l’enfant. Ainsi a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe en son Père, lui par qui tout a été fait, lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de se dire égal à Dieu[1], et, comme tel, nourriture des anges, autant qu’ils en sont capables, aliment des Vertus, des Puissances, des Esprits bienheureux. Mais l’homme était infirme, enveloppé dans la chair et gisant sur la terre, et la nourriture céleste ne pouvait descendre jusqu’à lui. Dès lors, afin que l’homme pût manger le pain des anges, et que la manne descendît chez un peuple qui est véritablement Israël[2], voilà que, « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous[3] ».
10. C’est pourquoi, voici le langage de l’apôtre saint Paul aux faibles, dont il est dit qu’ils vivent de la vie charnelle et animale : « Ai-je donc fait profession de savoir parmi vous autre chose que Jésus, et Jésus crucifié[4] ? » Car c’était le Christ, mais non crucifié, qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et comme ce Verbe a été fait chair, ce Verbe aussi a été crucifié, mais sans être changé en homme ; c’est l’homme au contraire qui a été changé dans lui. L’homme donc a été changé en lui, afin de devenir meilleur qu’il n’était, et non pour être changé dans la substance même du Verbe. Dieu est donc mort en ce qu’il y avait d’humain en lui ; et l’homme est ressuscité dans ce qu’il tenait de Dieu, il est ressuscité et monté au ciel. Tout ce qu’a souffert l’homme, on ne saurait dire que Dieu ne l’ait pas souffert, parce qu’il était Dieu en prenant la nature humaine ; de même que tu ne saurais dire que tu n’as pas souffert un outrage, dès qu’on déchire ton manteau. Et quand tu t’en plains à tes amis ou devant un juge, tu dis : il m’a déchiré. Tu ne dis point : Il a déchiré mon manteau ; mais : Il m’a déchiré. Si donc on peut appeler toi, ce qui n’est que ton vêtement, combien n’est-il pas plus juste de dire, à propos de la chair du Christ, de ce temple du Verbe uni au Verbe, que tout ce qu’il souffrait en sa chair, c’était Dieu qui le souffrait ? Et toutefois le Verbe ne pouvait passer ni par la mort, ni par la corruption, ni par le changement, ni même être tué ; mais tout ce qu’il a souffert de semblable, il l’a souffert en sa chair. Et ne vous étonnez pas que le Verbe n’ait rien souffert ; car si vous tuez la chair, l’âme dès lors ne saurait rien souffrir, ainsi que l’a dit le Sauveur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne sauraient tuer l’âme[5] ». Si donc on ne saurait tuer l’âme, comment tuer le Verbe de Dieu ? Et pourtant, que dit cette âme ? Il m’a flagellée, souffletée, frappée, déchirée ; rien de cela ne se fait dans l’âme ; et néanmoins elle dit toujours moi, à cause de son union avec le corps.
11. Notre-Seigneur Jésus-Christ donc, qui est notre pain, s’est fait un lait pour nous en s’incarnant et en se montrant mortel, afin que la mort finît en lui, et que nous pussions, sans nous éloigner du Verbe, croire en cette chair que le Verbe a prise. C’est en cela qu’il nous faut croître, c’est ce lait qui doit être notre nourriture ; et avant que nous soyons capables de nous alimenter du Verbe lui-même, ne nous séparons point de cette foi qui est notre lait. Quant aux hérétiques, en voulant disputer au sujet de ce qu’ils ne pouvaient comprendre, ils ont dit que le Fils est inférieur au Père, et que le Saint-Esprit est inférieur au Fils ; et en graduant ainsi, ils ont introduit trois dieux dans l’Église. Ils ne peuvent nier en effet ni que le Père soit Dieu, ni que le Fils soit Dieu, ni que le Saint-Esprit soit Dieu. Mais si le Père qui est Dieu, le Fils qui est Dieu, le Saint-Esprit qui est Dieu, sont inégaux, ils ne sont point de même substance, et dès lors il n’y a point un seul Dieu, mais trois dieux. En raisonnant sur ce qu’ils ne pouvaient saisir, ils se sont élevés dans leur orgueil, et il est arrivé pour eux ce qui est dit dans notre psaume : « Si je n’ai

  1. Phil. 2,6
  2. Exod. 16,14
  3. 1 Cor. 2,2
  4. 1 Cor. 2,2
  5. Mt. 10,28