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que ne pourrait être un œil malade. Un doigt n’est qu’une faible partie, mais l’œil est bien plus considérable : et pourtant, il vaut mieux n’être qu’un doigt dans le corps, et en santé, que d’être l’œil, mais malade, chassieux, ténébreux. Nous n’avons donc à rechercher dans le corps du Christ que la santé ; qu’à proportion de la santé vienne la foi, que la foi purifie le cœur, et le cœur une fois purifié verra cette face dont il est dit : « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[1] ». Et celui qui a fait des miracles dans le corps du Christ, comme celui qui n’en a pas fait, ne doit se réjouir que de la face de Dieu. Envoyés par le Seigneur, les Apôtres revenaient en lui disant « Voilà qu’en vôtre nom les démons eux-mêmes nous sont soumis[2] ». Le Seigneur vit que la puissance d’opérer des miracles leur donnait une tentation d’orgueil, et ce médecin qui était venu pour guérir nos enflures, et porter nos infirmités, répondit aussitôt : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[3] ». Tous les fidèles qui sont saints, ne chassent point pour cela les démons : et leurs noms toutefois sont écrits dans les cieux. Il voulut qu’ils missent leur joie, non dans ce qui leur était propre, mais dans le salut qui leur était commun avec les autres ; et dès lors il ne voulut chez les Apôtres d’autre joie que la sienne. Que votre charité veuille bien écouter. Aucun fidèle n’espère, si son nom n’est écrit dans le ciel. Les noms de lobs les fidèles qui aiment le Christ, qui marchent humblement dans les voies de l’humilité que lui-même nous a enseignées, sont écrits dans le ciel. Quelque méprisable que soit un homme dans l’Église, dès lors qu’il croit au Christ, qu’il aime le Christ, qu’il aime la paix du Christ, son nom est écrit dans le ciel, quel que soit ton mépris pour lui. Et néanmoins qu’a-t-il de comparable avec les Apôtres, qui ont opéré tant de miracles ? Et toutefois les Apôtres sont réprimandés de ce qu’ils se réjouissent d’un bien qui leur est propre, et le Seigneur leur enjoint de n’avoir d’autre joie que la joie de cet homme que tu méprises.
9. Le Psalmiste, mes frères, a donc raison de dire avec cette humilité : « Seigneur, moi cœur ne s’est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je n’ai point marché dans les hauteurs, ni dans ces merveilles qui me surpassent. Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir, que mon âme soit traitée comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère[4] ». Il semble se lier par des imprécations. De même qu’il est dit dans un autre psaume : « Seigneur mon Dieu, si j’ai agi de la sorte, si l’iniquité est dans mes mains, si j’ai rendu le mal pour le mal, que je succombe avec justice devant mes ennemis[5] », et le reste ; ainsi semble-t-il dire maintenant : « Si je n’ai point eu de sentiments d’humilité, et si j’ai laissé mon âme s’enorgueillir » ; comme s’il devait ajouter : Que tel châtiment tombe sur moi. Là il est dit encore : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », que ce malheur m’arrive. Quel malheur ? « Que je succombe en face de mes ennemis » ; ainsi est-il dit dans notre psaume : « Si je n’ai point eu des sentiments d’humilité, si j’ai au contraire élevé mon âme, que celte âme soit châtiée, comme l’enfant que l’on sèvre dans les bras de sa mère ». Écoutez ceci, mes frères. Vous savez à quels infirmes s’adresse la parole de l’Apôtre. « Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide ; car vous ne pouviez la supporter, et maintenant même, vous ne le pouvez pas[6] ». Il y a des faibles, qui ne sont point capables d’une solide nourriture, et qui néanmoins veulent arriver à ce qui dépasse leurs forces. S’ils parviennent à saisir quelque chose, ou même s’ils se persuadent qu’ils ont saisi ce qu’ils n’ont pu atteindre, les voilà qui s’élèvent, qui s’enorgueillissent, qui se croient plein de sagesse. C’est là ce qui est arrivé à tous les hérétiques ; en eux l’homme animal et charnel a défendu des opinions perverses dont ils ne pouvaient voir la fausseté ; et ils ont été chassés de l’Église catholique. Je m’en expliquerai autant que possible avec votre charité. Vous savez que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, selon cette parole de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui[7] ». C’est donc là le

  1. Mt. 5,8
  2. Lc. 10,17
  3. Id. 20
  4. Ps. 130,1-2
  5. Id. 7,4-5
  6. 1 Cor. 3,2
  7. Jn. 1,1-3