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en quelque sorte ; on ne saurait le dire, ni peut-être le penser. Vous avez entendu tout à l’heure ce passage de saint Paul, que « l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a pas entendu, et qu’il n’est pas monté au cœur de l’homme[1] ». Si cela n’est point monté au cœur de l’homme, que le cœur de l’homme s’élève jusque-là. Donc, si « l’œil n’a point vu, si l’oreille n’a point entendu, si cela n’est pas monté jusqu’au cœur de l’homme », comment dire où nous devons monter ? Aussi, dans son impuissance, le Prophète nous dit-il : « Dans le lieu marqué ». Que pourrais-je vous dire de plus, nous dit cet homme en qui parlait le Saint-Esprit ? Est-ce en tel lieu, ou en tel autre ? Quelles que soient mes expressions, vos pensées sont terrestres, se traînent sur la terre, la chair nous pèse, car le corps corruptible appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[2]. À qui le dirai-je ? Qui voudra l’entendre ? Qui comprendra le lieu Où nous serons après cette vie, si l’on y monte par le cœur ? Puisque nul ne le saurait coin prendre, espère quelque chose d’ineffable, une incomparable félicité que nous a préparée Celui qui a disposé dans ton cœur de saintes ascensions. Mais où les a-t-il disposées ? Dans la vallée des larmes. Une vallée est le symbole de l’humilité, comme la montagne est le symbole de l’élévation ; or, la montagne qu’il nous faut gravir est une élévation spirituelle. Mais quelle est cette montagne qu’il nous faut gravir, sinon Jésus-Christ Notre-Seigneur ? C’est lui qui, par ses souffrances, nous a tait une vallée des larmes, comme il nous a fait par son séjour une montagne que nous devons gravir. Qu’est-ce que cette vallée des larmes ? « Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous[3] ». Qu’est-ce que cette vallée des pleurs ? Il a présenté sa joue à ceux qui le frappaient, et a été rassasié d’opprobres[4]. Qu’est-ce encore que cette vallée des pleurs ? Il a été souffleté, couvert de crachats, couronné d’épines, cloué à la croix. C’est de cette vallée des pleurs qu’il nous faut monter plus haut. Mais monter où ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[5] ». « C’est ce Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous ». Il est descendu vers Toi, de manière cependant à demeurer en lui-même : il est descendu vers toi, afin de devenir pour toi la vallée des pleurs ; il est demeuré en lui-même, afin d’être pour toi une montagne à gravir. « Et voilà », dit Isaïe « que dans les derniers jours se manifestera la montagne du Seigneur, dominant le sommet des montagnes[6] ». C’est là qu’il faut nous élever. Mais parce que l’on parle des montagnes, loin de toi toute pensée terrestre, toute hauteur visible : et quand il est question de pierre ou de rocher, ne te figure point quelque corps dur, non plus que la férocité quand on parle de lion, ni l’animal de l’étable quand il est question d’agneau. Le Christ en lui-même n’est rien de tout cela, et il s’est fait tout cela pour toi, C’est d’ici-bas qu’il faut s’élever, c’est jusque-là qu’il faut monter ; de son exemple à sa divinité. Il est devenu ton modèle dans ses abaissements ; et ceux qui n’ont point voulu s’élever de cette vallée des pleurs, ont senti le poids de son bras. Ils voulaient s’élever à contre-temps, ils rêvaient de grands honneurs, sans penser à la voie de l’humilité. Que votre charité comprenne ceci, mes frères. Deux disciples du Sauveur demandaient à s’asseoir aux côtés de Jésus, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche[7]. Jésus vit qu’ils renversaient l’ordre, qu’ils étaient prématurément ambitieux des honneurs, tandis qu’il leur fallait d’abord apprendre à s’humilier avant d’être élevés, et il leur dit « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même[8] ? » Car dans cette vallée des larmes il devait boire le calice de sa passion ; mais eux, sans faire attention à l’humilité du Christ, ne voulaient comprendre que sa grandeur. Il les rappelle dans la voie comme des hommes qui s’égarent, non pour leur refuser ce qu’ils désiraient, mais pour leur montrer par où ils doivent y arriver.
2. Chantons donc, mes frères, ce cantique des degrés, mais chantons-le en nous élevant par le cœur, car c’est pour nous élever que le Christ est descendu jusqu’à nous. Jacob vit une échelle, et sur cette échelle il vit les uns monter, les autres descendre[9] : voilà ce qu’il vit. Dans ceux qui montaient nous pouvons voir à notre tour ceux qui s’avancent dans la piété ; et dans ceux qui descendaient ceux qui demeurent en arrière. C’est en effet ce

  1. 1 Cor. 2,9
  2. Sag. 9,15
  3. Jn. 1,14
  4. Thren. 3,30
  5. Jn. 1,1
  6. Isa. 2,2
  7. Mt. 20,21
  8. Id. 22
  9. Gen. 28,12