Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/662

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour mettre le juge en cause. Est-il possible que le Seigneur prenne pitié de ceux qui commettent une semblable iniquité ? « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ». Que votre vengeance, dit le Prophète, poursuive leurs péchés : punissez-les, percez-les des traits de votre justice ; ils ne veulent point se connaître : forcez-les à s’envisager eux-mêmes, et puissent-ils rougir du malheureux état où ils se trouvent, et trouver en vous leur bonheur ! « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ».
15. « Qu’ils se convertissent sur le soir[1] ». Le Prophète parle ici de je ne sais quels hommes, qui commettaient jadis l’iniquité, qui étaient autrefois ténèbres, et qui se convertissent sur le soir. Que veulent dire ces paroles : « Sur le soir ? » Ensuite. Et encore ? Plus tard, avant d’attacher le Christ à l’instrument de son supplice, ils auraient dû reconnaître en lui leur médecin ; mais ils ne le reconnurent que plus tard ; après sa mort, sa résurrection, son ascension, et la descente du Saint-Esprit sur les disciples qui se trouvaient dans la même maison et qui, sous la riche influence de ses dons, parlèrent le langage de tous les peuples ; alors ils s’épouvantèrent de l’avoir cloué à la croix ; la conscience bourrelée de remords, ils demandèrent aux Apôtres comment ils pourraient se sauver, et ceux-ci leur répondirent : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis[2] ». Après avoir fait mourir le Christ, et avoir répandu son sang, vous obtiendrez néanmoins la rémission de vos péchés, car il a voulu mourir, afin de racheter par l’effusion de son sang ceux-là mêmes qui le verseraient. Vous vous êtes montrés cruels à son égard ; vous avez répandu son sang : que votre foi vous fasse, boire ce breuvage salutaire ! C’est donc avec raison que le Prophète s’exprime ainsi : « Qu’ils se convertissent sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme des chiens ». Les Juifs appelaient de ce nom les Gentils, parce qu’ils les considéraient comme impurs ; voilà pourquoi le Sauveur appela lui-même ainsi la Chananéenne, qui n’était pas juive. Cette femme le suivait et lui demandait à grands cris d’avoir pitié de sa fille, et de la guérir. Jésus prévoyait tout, il savait tout, mais il voulait manifester aux yeux de tous la foi de cette femme ; il différa donc d’accéder à sa demande, et la tint quelque temps en suspens. Et comment différa-t-il de se rendre aux vœux de cette mère désolée ? « Je n’ai été envoyé », dit-il, « que pour sauver les brebis égarées de la maison d’Israël ». A Israël il donnait le nom de brebis ; et les Gentils, comment les désignait-il ? « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens ». Il donna aux Gentils le nom de chiens, à cause de leur impureté. Mais que fit cette femme affamée ? au lieu de se laisser rebuter par cette parole, elle la reçut avec humilité, et mérita ainsi la faveur qu’elle sollicitait. On ne peut effectivement voir une injure dans les paroles adressées par le Sauveur à la Chananéenne. Qu’un serviteur parle ainsi à son maître, ce serait outrageant pour celui-ci ; mais qu’un maître emploie ce langage à l’égard de son serviteur, c’est, de sa part, un acte de bonté qu’on ne saurait accuser de hauteur. « Oui, Seigneur », répondit-elle. Que veut dire ce « oui ? » Vous dites vrai : vos paroles sont l’expression de la vérité même : je suis un chien. « Mais », ajouta-t-elle, « les chiens mangent les mies qui tombent de la table de leurs maîtres ». « O femme », reprit aussitôt le Sauveur, « que ta foi est grande[3] ! » Tout à l’heure il lui donnait le nom de chien ; maintenant, il lui donne celui de femme. Pourquoi donner le nom de femme à celle qu’il appelait, un instant auparavant, du nom de chien ? Parce qu’au lieu de repousser la dénomination que lui avait donnée le Sauveur, elle l’avait humblement acceptée, comme l’expression de la vérité. Les Gentils sont donc des chiens ; c’est pourquoi ils sont affamés. Il serait avantageux, pour les Juifs eux-mêmes, de reconnaître qu’ils sont pécheurs, et de se convertir, quoique « sur le soir », et « de souffrir la u faim comme les chiens ». Car s’il était rassassié, il ne l’était pas comme il eût été nécessaire, celui qui disait : « Je jeûne deux fois la semaine ». Pour le publicain, il souffrait de la faim comme un chien ; il avait faim des bienfaits de Dieu, car il disait : « Soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur[4] ». « Qu’ils se convertissent » donc

  1. Ps. 58,7
  2. Act. 2,38
  3. Mt. 15,24-28
  4. Lc. 18,12-13