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surtout son humilité[1]. Il n’a pas dédaigné de se faire baptiser par son serviteur, afin de nous apprendre à faire l’aveu de nos fautes, à devenir faibles pour devenir forts, et à pouvoir, de préférence, dire avec saint Paul : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort[2] ». Ainsi l’Apôtre témoignait-il ne pas vouloir être du nombre de ces forts. Mais en voulant se montrer forts, c’est-à-dire, en présumant de leur vertu comme s’ils étaient justes, les Juifs se sont heurtés contre la pierre de scandale[3]. L’Agneau leur a semblé être un bouc : ils l’ont tué, comme s’il en était un ; et par là ils ont mérité de n’être point rachetés par l’Agneau. Voilà les forts qui se sont vantés de leur justice, et se sont élevés contre le Christ. Écoutez-les parler. Certains habitants de Jérusalem avaient été envoyés par eux avec l’ordre de s’emparer du Sauveur : ces émissaires n’osèrent point accomplir heur mission, car le moment n’était point encore venu pour Jésus-Christ, dont les forces étaient réelles, de vouloir se laisser prendre : alors ceux qui les avaient envoyés, leur dirent : Pourquoi donc n’avez-vous pu vous emparer de sa personne ? Jamais, répondirent-ils, jamais homme n’a parlé comme lui. Et ces forts répliquèrent Est-ce que parmi les Pharisiens ou les Scribes il y en a un seul pour croire en lui ? En dehors de cette populace, qui ne connaît point la loi, personne n’ajoute foi à ses paroles[4]. Ils se sont préférés à une foule d’infirmes, qui se précipitaient au-devant du médecin : pourquoi, sinon parce qu’ils étaient robustes ? Mais, par un nouvel et plus criant abus de leur force, ils ont entraîné à leur suite toute cette foule et mis à mort le médecin, qui pouvait guérir les uns et les autres. Pour lui, par cela même qu’on l’a fait mourir, il s’est servi de son sang comme d’un remède propre à guérir les malades. « Les forts se sont précipités sur moi ». Réfléchissez bien au sort de cette classe d’hommes ; et, s’il est défendu au chrétien de mettre sa confiance en sa propre justice, voyez s’il nous est permis de l’appuyer sur autre chose. Voyez où en sont réduits ceux qui se glorifient de leurs richesses, de leur force corporelle, de la noblesse de leur origine, des dignités qui les distinguent dans le monde, puisque ceux-là tombent si lourdement, qui se glorifient de leur justice, comme s’ils en étaient la source. « Les forts se sont précipités sur moi ». Du nombre de ces hommes était le pharisien, car il se vantait de ses forces. « Je vous rends grâces », disait-il, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, ravisseurs du bien d’autrui, adultères, ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine ; je donne la dîme de tout ce que je possède ». Voilà un fort qui se vante de sa force : Voici maintenant un infirme, qui se tient bien loin, et qui, par son humilité même, se rapproche de Dieu. « Mais le publicain se tenait bien loin, et n’osait pas même lever les yeux au ciel. Il se frappait la poitrine et disait : O Dieu, soyez-moi favorable, à moi pécheur. En venté, je vous le dis, cet homme s’en retourna plus juste que le pharisien ». Vois en quoi consiste la justice : « Celui qui s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera élevé[5] ». Tels sont les forts qui se sont précipités sur le Christ : ce sont des orgueilleux qui, méconnaissant la justice divine, et pénétrés de la valeur de leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de l’Eternel[6].
8. Que dit ensuite le Psalmiste ? « Il n’y a point d’injustice en moi, ô mon Dieu, il n’y a en moi aucun péché[7] ». Les forts, qui se confiaient en leur justice, se sont précipités sur moi : oui, ils se sont jetés sur moi, mais ils n’ont trouvé en moi aucun péché. Ces forts, c’est-à-dire, ces faux justes, pouvaient-ils attaquer le Christ, s’il ne semblait être un pécheur ? Qu’ils le remarquent néanmoins, leur force venait de l’ardeur de la fièvre qui les dévorait, et non d’une robuste santé. Qu’ils le reconnaissent, leur force était factice ; et s’ils ont persécuté le Christ, c’est qu’ils se sont crus justes et qu’ils l’ont considéré comme un pécheur. Et pourtant, « Seigneur, il n’y avait en moi ni injustice ni péché. J’ai couru sans injustice, et j’ai marché dans la voie droite ». Pendant que je courais, ces forts n’ont pu me suivre, et ils m’ont considéré comme un pécheur, parce qu’ils n’ont pas découvert mes traces.
9. « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez[8] ». Le Prophète dit à Dieu : « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez ». Quoi donc ! Le Seigneur ne peut-il voir, sans

  1. Mt. 3,13
  2. 2 Cor. 11,10
  3. Rom. 9,32
  4. Jn. 7,45-49
  5. Lc. 18,11-14
  6. Rom. 10,3
  7. Ps. 58,5
  8. Id. 6