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au lieu de dire que ce feu les dévorera tout vivants, le Prophète dit-il qu’il les consumera « comme s’ils étaient vivants ? » C’est que la vie des impies n’est pas une véritable vie. À vrai dire, ils ne vivent pas, seulement ils se croient vivants. Pourquoi encore, au lieu de dire : Dans la colère de Dieu, le Psalmiste dit-il : « Comme dans la colère de Dieu ? » C’est qu’en les punissant, Dieu ne perd rien de sa tranquillité. Il est, en effet, écrit : « Pour vous, Seigneur des armées, vous nous jugez avec tranquillité[1] ». Même au moment où il fait des menaces, il n’est pas irrité ; et, quand il se venge et punit ses créatures rebelles, il ne se trouble pas, il semble seulement s’irriter. De même ceux qui ne veulent point se convertir paraissent vivants, quoiqu’ils ne le soient pas en réalité. Ils sentent toujours peser sur eux la punition infligée par Dieu à la prévarication de notre premier père et à celles dont ils se sont eux-mêmes rendus coupables ; à cette punition on donne le nom de colère de Dieu, parce qu’elle est l’effet de ses jugements. Aussi, en parlant des hommes rebelles à la foi, Dieu dit-il : « Mais la colère du u Seigneur demeure sur lui[2] ». Nous naissons sujets à la mort par un effet de la colère divine ; voilà pourquoi l’Apôtre s’exprime ainsi : « Nous avons aussi été autrefois enfants de colère, comme les autres, par notre nature[3] ». Pourquoi enfants de colère par nature ? Parce que nous portons en nous-mêmes la peine du péché originel. Mais si nous nous convertissons, la colère disparaît pour faire place à la grâce. Tu refuses de te convertir ? Tu ajoutes à l’iniquité que tu as apportée avec toi en naissant, et dès cette vie tu seras comme noyé dans la colère divine.
21. Remarquez donc à quelle peine effrayante sont condamnés les méchants. Réjouissez-vous de n’en être pas accablés, ô vous tous qui avancez dans le chemin du bien, vous tous qui saisissez et aimez la vérité, vous tous qui aimez mieux la voir triompher de vous que vous voir triompher d’elle, vous tous qui, pour entendre plus parfaitement sa voix, fermez votre âme aux tentations du présent et aux souvenirs du passé, et ne voulez ressembler j en rien à ces chiens qui retournent à leurs vomissements[4]. Encore une fois, vous tous qui vous montrez tels que je viens de le dire, voyez les peines de ceux qui ne vous sont point pareils, et réjouissez-vous. Les tourments de l’enfer ne sont pas encore devenus leur partage ; ils ne sont pas encore devenus la proie du feu éternel, et pourtant, que le chrétien fidèle à Dieu se compare pour le présent avec l’impie ; que l’on mette en présence le cœur aveugle de l’un et le cœur illuminé de l’autre ; comparez deux hommes, dont l’un jouit de la vue, dont l’autre en est privé. À vrai dire, l’usage de la vue du corps est-il un si grand avantage ? Est-ce que le saint homme Tobie n’en était pas privé ? Son fils en jouissait ; il en était lui-même dépourvu, et toutefois, malgré sa cécité, n’indiquait-il pas le chemin de la vie à ce fils qui marchait en possession de ses yeux[5] ? En présence des peines infligées aux méchants, réjouissez-vous d’en être préservés ; car, dit l’Écriture, « le juste se réjouira lorsqu’il verra la punition, non pas la punition à venir. Écoute en effet ce qui suit : « Il lavera ses mains dans le sang du pécheur ». Quel sens donner à ce passage ? Que votre charité veuille bien y faire attention. Est-ce qu’au moment où la hache du bourreau frappe un assassin, les personnes qui ne sont point coupables de pareil crime doivent se rendre au lieu du supplice pour laver leurs mains dans le sang du supplicié ? Alors que signifient ces paroles « Il lavera ses mains dans le sang du pécheur ? » À la vue des punitions dont le pécheur est accablé, le juste devient meilleur ; la mort de l’un communique la vie à l’autre. Si ceux qui meurent spirituellement répandent leur sang de la même manière, c’est à toi, quand tu en es témoin, de laver tes mains dans ce sang invisible, et, à l’aide de ce remède étranger, de vivre avec plus de pureté. Mais si un homme est juste, quel besoin peut-il avoir de laver ses mains ? quelles taches pourrait-il y avoir à faire disparaître ? Le juste vit de la foi[6]. L’Apôtre donne le nom de justes aux fidèles, et dès lors que tu as commencé à croire, tu as aussi, par là même, commencé à devenir juste, puisque tu as obtenu le pardon de tes péchés. Sans doute, de ta vie antérieure resteront toujours certaines fautes qui feront passer dans ton âme un germe de corruption, comme l’eau de la mer pénètre dans les navires et y dépose des sédiments boueux ; cependant, parce que tu t’es soumis au joug de la foi, cette foi te fait voir

  1. Sag. 11,18
  2. Jn. 3,36
  3. Eph. 2,3
  4. 2 Pi. 2,22
  5. Tob. 4,1
  6. Rom. 1,17