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un trou étroit. – Mais où trouverai-je ce trou étroit par où je passerai ? – Le voici ; le Sauveur te l’indique. « La voie qui mène à la « vie est étroite ; il y en a peu qui y marchent[1] ». Parce qu’il y en a peu pour oser la suivre, tu crains de t’y engager ; tu ne veux pas y marcher ? C’est là qu’il faut se dépouiller de son vieux vêtement ; il est impossible de s’en dépouiller ailleurs. Si tu consens à être toujours chargé des dépouilles du vieil homme, à les voir embarrasser tes mouvements et t’étouffer, ne prends point ce chemin étroit, car tu ne pourras y passer avec le fardeau de tes péchés et de ta première vie. Puisque ce corps, qui se corrompt, appesantit l’âme[2], ou bien ne te laisse accabler par aucun désir charnel, ou bien dépouille-toi de la concupiscence du vieil homme. Et comment t’en dépouiller, si tu ne passes par la voie étroite, si tu n’es rusé comme un serpent ?
11. « Dieu a brisé leurs dents dans leur bouche[3] ». À qui le Seigneur a-t-il brisé les dents ? À ceux dont la fureur est pareille à la fureur du serpent et de l’aspic qui ferme ses oreilles pour n’entendre, ni la voix de l’enchanteur, ni celle du remède préparé par le sage. Qu’est-ce que Dieu leur a fait ? « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Dieu l’a fait, et, non seulement il l’a fait autrefois, mais il le fait encore aujourd’hui. Cependant, mes frères, pourquoi ne pas se contenter de dire que « Dieu a brisé leurs dents », sans ajouter qu’il les a brisées « dans leur bouche ? » Pareils au serpent et à l’aspic, dont nous parlions tout à l’heure, les Pharisiens ne voulaient entendre ni la loi, ni les préceptes que Jésus-Christ, la vérité même, leur apportait : leurs péchés passés étaient, pour eux, un objet de complaisance, ils ne voulaient point renoncer à la vie présente, c’est-à-dire qu’ils préféraient les joies passagères de ce monde aux joies durables de l’éternité. Ils ne voulaient rien écouter, car leurs oreilles étaient fermées, l’une par le plaisir que leur causait la mémoire du passé, l’autre par le plaisir que leur procuraient les biens présents. Pourquoi, en effet, ont-ils dit : « Si nous le laissons agir de la sorte, les Romains viendront et nous enlèveront notre ville et notre pays[4] ? » C’est qu’ils ne voulaient point perdre leur ville. Par conséquent, ils avaient appliqué contre terre une de leurs oreilles ; aussi ne voulurent-ils pas recevoir les paroles salutaires que leur adressait le sage, et y restèrent-ils sourds. Il est dit encore qu’ils étaient avares et aimaient l’argent, et nous trouvons dans l’Évangile l’histoire de toute leur vie, même de leur vie passée, faite par Jésus-Christ. Il suffit de lire ce livre divin pour comprendre ce qui leur fermait les deux oreilles. Que votre charité veuille bien remarquer la conduite de Dieu à leur égard. « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Que veulent dire ces mots : « Dans leur bouche ? » Ils signifient qu’il les a forcés de prononcer eux-mêmes leur condamnation, et que la sentence est sortie de leur propre bouche. Leur but était de pouvoir décrier le Sauveur, à l’occasion du tribut à payer à César. En réponse à leur question, Jésus ne leur dit ni qu’il était permis, ni qu’il était défendu de le payer. S’il avait dit : Payez le tribut à César, ils l’auraient accusé de manquer de respect à la nation Juive en la déclarant tributaire, car, la prédiction en avait été faite dans la loi : c’était en raison de leurs péchés qu’ils subissaient l’humiliante nécessité de payer un tribut. S’il nous oblige, disaient-ils, à remplir ce devoir à l’égard de l’empereur, nous aurons une preuve contre lui, nous l’accuserons d’outrager la nation. Si, au contraire, il nous dit : Ne payez pas, vous n’y êtes pas tenus, nous aurons toute facilité de prouver qu’il s’est déclaré contre César et nous a empêchés de lui rendre nos devoirs. Tel fut le double piège qu’ils tendirent au Sauveur, comme s’ils avaient pi, i espérer l’y prendre. Mais à qui s’adressaient-ils ? À celui qui savait briser les dents de ses adversaires dans leur bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie », leur dit-il : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ? » Pensez-vous à payer le tribut ? Voulez-vous observer la justice ? Me demandez-vous un conseil pour devenir justes ? « Si vous parlez sincèrement selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements, ô enfants des hommes ». Mais puisque votre langage est tout opposé à vos jugements, vous n’êtes que des hypocrites : « Pourquoi me tentez-vous ? » Je vais briser vos dents dans votre bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie ». Et ils en mirent une sous ses yeux. Et au lieu de leur dire : Voilà l’image de César, il leur adresse cette question : « De qui

  1. Mt. 7,14
  2. Sag. 9,15
  3. Ps. 57,7
  4. Jn. 11,48