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dans les ténèbres extérieures : il y aura là pleur et grincement de dents[1] ». Tu te sens saisi d’horreur et d’épouvante ; tu frappes ta poitrine : à ton avis il est mal de commettre le péché, il est beau de pratiquer la vertu. « Enfants des hommes, si vous parlez vraiment selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements ». Faites passer vos paroles dans vos actions, et que votre conduite soit l’expression de votre manière de parler. Ne faites pas de chaînes avec l’iniquité, parce que les liens que vous feriez en cette vie serviraient plus tard à vous ôter l’usage de vos membres. Il en est qui n’écoutent pas cet avertissement, quoique tous n’y soient pas sourds : ceux qui ne les écoutent pas, Dieu les connaît d’avance.
5. « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de leurs mères ; ils se sont égarés avant d’en sortir : ils n’ont dit que des faussetés ». Lorsqu’ils parlent iniquité, ils disent des faussetés, parce que l’iniquité est la fausseté même : et quand ils parlent justice, leur langage est encore aussi peu droit, parce que leur cœur dément en secret les paroles qui sortent de leur bouche. Pourquoi le Prophète dit-il : « Les pécheurs se sont éloignés dès le sein de leurs mères ? » Cherchons-en avec soin la raison : car peut-être a-t-il voulu dire que Dieu connaît d’avance, dès le sein de leur mère, ceux qui commettront le péché. D’où vient, en effet, que Rébecca, étant encore enceinte, et portant dans ses entrailles deux jumeaux, le Seigneur dit : « J’aime Jacob et je déteste Esaü[2] ? » Ne dit-il pas encore : « L’aîné sera assujetti au plus jeune ? » C’était là, sans doute, un secret jugement de Dieu, mais un jugement qui s’exerçait dès le sein de la mère ; « car les péchés se sont éloignés » dès leur origine. De quoi se sont-ils éloignés ? De la vérité. De quoi encore ? de la céleste patrie, de la vie bienheureuse. En ont-ils été éloignés dès le sein de leur mère ? Quels pécheurs ont été éloignés même avant de naître ? Qui est-ce qui pourrait venir au monde, s’il n’était d’abord enfermé dans le sein maternel ? Et parmi ceux qui nous écoutent inutilement, y en aurait-il un seul en cette vie, s’il n’était préalablement né ? Les pécheurs ont donc peut-être été éloignés d’un autre sein, dans lequel la charité souffrait au point de dire par la bouche de l’apôtre saint Paul : « Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau une sorte de travail de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous »[3]. Demeure donc en ce sein ; attends que tu y sois formé. N’aie pas la prétention de t’attribuer l’usage du jugement que tu n’as pas encore. Tu es encore charnel : tu es conçu, car dès lors qu’on t’a donné le nom de chrétien, tu as apparu dans les entrailles de ta mère sous l’influence d’un certain sacrement. L’homme, en effet, ne se forme pas seulement des entrailles de sa mère, il se forme aussi dans ses entrailles ; il naît d’abord dans les entrailles maternelles ; puis il en tire sa substance. Voilà pourquoi il a été dit de Marie : « Ce qui est né en vous est du Saint-Esprit »[4]. Le Sauveur n’était pas encore né de la sainte Vierge, mais il était déjà né en elle. De petits enfants naissent donc dans les entrailles de l’Église, et il est pour eux avantageux de ne naître que parfaitement formés, parce qu’ils tomberaient de son sein, pareils à des avortons. Puisse-t-elle t’engendrer, et ne pas avorter ! Sois patient, jusqu’au moment où ta formation sera complète, jusqu’au jour où tu seras affermi par l’enseignement de la vérité ; reste enfermé dans les entrailles de ta mère. Mais si, par impatience, tu viens à les ébranler, elle te jettera hors de son sein : sa douleur sera grande ; mais elle sera moins à plaindre que toi.
6. « Les pécheurs se sont-ils éloignés dès le sein de leurs mères ? ils se sont égarés avant d’en sortir : ils n’ont dit que des faussetés ». Se sont-ils égarés dès le sein de leur mère, parce qu’ils ont dit des faussetés ? ou plutôt, ont-ils dit des faussetés, parce qu’ils se sont égarés dès le sein de leur mère ? En effet, le sein de l’Église est le séjour permanent de la vérité ; et quiconque s’en éloigne doit infailliblement dire des faussetés. Oui, je le dis, l’erreur et le mensonge se trouvent nécessairement dans la bouche de quiconque n’a pas voulu naître dans ses entrailles, ou s’est vu rejeté par elle comme un avorton, après qu’il a été conçu. C’est pourquoi les hérétiques déclament contre l’Évangile : parlons donc spécialement de ces malheureux, que nous voyons avec douleur rejetés du sein de notre commune mère. Nous leur lisons ce passage de l’Évangile : Voici les paroles du Christ : « Il fallait que le Christ

  1. Mt. 22,13
  2. Gen. 25,23 ; Mal. 1,2-3 ; Rom. 9,13
  3. Gal. 4,19
  4. Mt. 1,20