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plus dans leurs cœurs. Ce principe y était gravé, mais ils ne voulaient pas le lire. On plaça donc sous leurs yeux ce qu’ils seraient obligés d’apercevoir dans leur conscience : la voix que Dieu lui fit entendre au-dehors, força l’homme à rentrer en lui-même, selon cette parole de nos livres saints : « L’impie sera interrogé dans ses pensées[1] ». Où se rencontre une interrogation, là se trouve une loi. Les hommes, recherchant les biens extérieurs, sont comme sortis hors d’eux-mêmes : alors, on leur a donné une loi extérieure, une loi écrite : il ne faudrait pas conclure de là qu’il n’y avait pas de loi gravée dans le cœur humain : seulement, ô homme, comme tu avais pris la fuite, et que tu t’étais éloigné de ton propre cœur, le Dieu qui se trouve partout arrête ta course vagabonde, et te force à rentrer en toi-même. Aussi, comment la loi écrite parle-t-elle à ceux qui ont méconnu la loi gravée dans leurs cœurs[2] ? Le voici : « Violateurs de la loi, rentrez en vous-mêmes[3] ». Qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’un autre s’approchât de ta femme ? qui est-ce qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te vole ? qui est-ce enfin qui t’a appris à ne pas vouloir qu’on te fasse souffrir une injustice ou mille autres mauvais procédés dont on pourrait parler en général et en particulier ? On pourrait interroger les hommes sur une multitude de choses, et leur demander, relativement à chacune d’elles, s’ils voudraient les souffrir : et ils répondraient aussitôt, à haute et intelligible voix : Non, je ne consentirai pas à cela. Mais, si tu ne veux pas te soumettre à ce mauvais traitement, crois-tu que tu sois le seul homme vivant ? Est-ce que tu ne vis pas en société avec le genre humain tout entier ? Celui qui a été créé par la même main que toi, est ton frère : nous avons tous été créés à l’image de Dieu, et cette image subsiste en nous, à moins que nous n’ayons détruit l’œuvre du Créateur par des passions basses et terrestres. Par conséquent, « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Ce que tu ne veux pas souffrir de la part des autres, tu le trouves mauvais ; une loi intérieure, gravée dans ton cœur, te force à le reconnaître. Mais tu le faisais toi-même, et celui qui en souffrait se plaignait hautement de tes violences. Pourquoi es-tu obligé de rentrer en toi-même, dès qu’un autre t’inflige les mêmes mauvais traitements ? Le vol est-il légitime ? Non. Je demande si l’adultère est une bonne action, et tous s’écrient : Non. L’homicide est-il permis ? Tous répondent encore : Nous le détestons. Est-il beau de désirer le bien d’autrui ? Il n’y a qu’une voix pour dire : Non. Si tu n’en conviens pas encore avec les autres, qu’un homme désire avoir injustement ce qui t’appartient : tu ne trouves rien de répréhensible dans sa conduite ? Alors, tu es libre de répondre comme il te plaira. Il y a donc parmi les hommes, et sur ces différents, points, unanimité à dire que de pareilles choses ne sont pas bonnes. Nous pouvons raisonner de la même manière au sujet de toute bonne action, qu’il s’agisse de rendre service, de faire du bien, ou qu’il soit simplement question de ne faire aucun tort au prochain. Je parle à un homme qui a faim, je lui dis : Tu souffres de la faim ; un autre, ton voisin, a du pain ; il en possède au-delà du nécessaire, il sait que tu en as besoin, il ne t’en donne pas ; sa conduite te déplaît, parce que tu as faim ; auras-tu le droit de dire que tu fais bien, quand, ayant le nécessaire, tu refuseras de secourir un frère que tu vois dans le besoin ? Un étranger arrive dans ton pays, ne sachant où il prendra son repos ; on ne le reçoit nulle part ; il accuse hautement d’inhumanité les habitants de cette ville ; il prétend que des barbares l’auraient mieux reçu. Il sent vivement l’injustice dont il a à souffrir : pour toi, tu ne la sens peut-être pas : ce que tu as à faire, c’est de te mettre, par la pensée, à la place de cet étranger, – et alors tu comprendras comment on peut trouver mauvais de ne pas recevoir ce que tu refuses dans ton pays à un voyageur inconnu. Je vous le demande à tous : est-ce vrai ? Oui. Est-ce juste ? Oui, encore.
2. Mais écoutez le Psalmiste : « Si ce que vous « dites est vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Soyez justes, non pas seulement en paroles, mais encore en actions. Si tu parles d’une manière et que tu agisses de l’autre, tes paroles sont bonnes, mais tes jugements sont mauvais. Je te demande lequel vaut mieux, de l’or ou de la fidélité ? Comme tu n’es ni perverti ni ennemi de la vérité, au point de donner la préférence à l’or, tu réponds à ma demande en te déclarant pour la fidélité : tu parles alors selon la justice. As-tu entendu le

  1. Sag. 1,9
  2. Rom. 2,15
  3. Isa. 46,8