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est faible, sans que je sois faible moi-même ? Qui est-ce qui est scandalisé, sans que je me sente enflammé[1] ? » Les faiblesses et les scandales des autres, telles étaient les persécutions dont il avait à souffrir. Est-il maintenant nécessaire de demander, si, de nos jours, il y a des persécutions à souffrir ? Ceux qui s’y trouvent exposés, disent que jamais elles n’ont été plus nombreuses. Souvent, quand on voit de loin un homme, on dit de lui : Celui-là est bien heureux. Pourquoi tient-on ce langage ? Parce qu’on voit ses peines propres, sans voir celles d’autrui ; ou bien, on n’a rien à souffrir et l’on ne compatit nullement aux douleurs qui tourmentent et consument les autres. Que l’on commence donc à vivre pieusement dans le Christ, et l’on sentira bientôt toute la vérité de ce que dit saint Paul, et l’on désirera avoir des ailes, et l’on voudra s’éloigner, s’enfuir et demeurer dans le désert.
9. Pourquoi, en effet, les serviteurs de Dieu vont-ils, en si grand nombre, peupler la solitude des déserts ? Qu’en pensez-vous, mes frères ? S’ils trouvaient le bonheur au milieu des hommes, s’éloigneraient-ils de toute société humaine ? Et, pourtant, à quoi réussissent-ils en lin de compte ? Ils s’éloignent, ils s’enfuient, ils établissent leur demeure dans le désert, c’est vrai : mais parviennent-ils à n’y rencontrer personne ? La charité qui les anime les réunit ensemble ; et, dans la multitude de leurs compagnons, il en est qui exercent leur patience. Toute assemblée nombreuse renferme infailliblement, en son sein, des méchants : Dieu sait que nous avons besoin d’être exercés, et il fait entrer dans nos rangs, et des gens qui ne persévéreront pas, et des hypocrites qui ne se sont pas même encore engagés dans la voie où ils devraient toujours marcher. Il le sait aussi ; nous devons nécessairement supporter les méchants et tirer profit de ce que nous sommes bons : aimons nos ennemis, réprimandons-les, châtions-les, excommunions-les, séparons-les même de nous ; mais toujours sous l’inspiration de la charité : car voyez ce que dit l’Apôtre : « Si quelqu’un « n’obéit pas à notre parole, faites-le-moi connaître par une lettre, et n’ayez plus rien de commun avec lui ». Et afin que tu ne te laisses point emporter par la colère, et que les yeux ne se troublent pas, il ajoute : « Ne le regardez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère, afin qu’il rougisse[2] ». Ainsi, il ordonne la séparation, sans détruire la charité. Par là, tes yeux ne s’éteignent pas, et la vie demeure entière en loi, car la perte de la charité serait ton coup de mort. C’est ce que redoutait le Psalmiste, quand il disait : « La crainte de la mort s’est abattue sur moi » ; et, pour que je ne perde pas la vie de la charité, « qui est-ce qui me « donnera des ailes comme à la colombe ? Et « je volerai, et je me reposerai ». Où aller ? De quel côté diriger mon vol ? En quel lieu trouverai-je le repos ? Je me suis éloigné « par la fuite, et j’ai établi ma demeure dans le désert ». En quel désert ? Partout où tu pourras fixer ton séjour, d’autres hommes s’y réuniront avec toi : ils chercheront la solitude et vivront avec toi : tu ne peux refuser de vivre en compagnie de tes frères, et, dès lors, tu rencontres des méchants ; dès lors, tu es condamné à souffrir. « Je me suis éloigné par la fuite et j’ai établi ma demeure « dans le désert ». En quel désert ? Ne serait-ce point dans celui de ta conscience, dans cette solitude, où nul ne saurait entrer, où personne n’habite avec toi, où tu rencontres la société de Dieu seul ? Car si tu choisissais, comme lieu de retraite, un désert ordinaire, un endroit quelconque, que ferais-tu de ceux qui viendraient se joindre à toi ? Tant que tu vivras parmi les hommes, tu ne pourras te séparer de tes semblables. Porte plutôt tes regards sur le divin Consolateur, sur notre Seigneur et notre Roi, sur notre Maître et notre Créateur, sur celui qui est devenu créature au milieu de nous : rappelle-toi qu’entre ses douze disciples, il y en eut un qu’il dut supporter.
10. « Voilà », dit le Prophète, « que je me suis éloigné par la fuite, et que j’ai établi ma demeure dans le désert[3] ». Je vous l’ai déjà fait remarquer : peut-être s’est-il enfui dans la solitude de sa conscience ; peut-être a-t-il trouvé là une retraite capable de lui procurer le repos. Néanmoins, sa charité l’y troublait ; car, s’il avait rencontré un désert dans sa conscience, sa charité ne l’y laissait pas seul. Sa conscience le consolait intérieurement, mais des tribulations venues du dehors le tourmentaient : tranquille du côté de lui-même,

  1. 2 Cor. 11,29
  2. 1 Thes. 3, 14
  3. Ps. 54, 9