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faut qu’on lui en donne ; s’il en a, il faut lui rendre la liberté de s’en servir. De celui qui délie les ailes d’un oiseau on peut dire indifféremment, ou qu’il les lui donne, ou qu’il les lui rend. L’oiseau qui ne peut se servir de ses ailes pour s’élever dans les airs, n’en a véritablement pas : et des ailes qui ne peuvent se mouvoir, sont à vrai dire un fardeau. « Qui est-ce », dit le Psalmiste, « qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Et je m’envolerai, et je me reposerai ». Où se reposera-t-il ? Ces paroles ont un double sens ; car l’Apôtre a dit : « Je désire mourir, et me trouver réuni au Christ, ce qui, sans aucun doute, est le plus avantageux ». Malgré sa force, sa grandeur d’âme, son courage intrépide, quoiqu’il fût un intrépide soldat du Christ, saint Paul s’est troublé dans son exercice l’Écriture en fait foi, car il a dit : « Que désormais personne ne m’inquiète[1] ». On croirait qu’il a emprunté au Psalmiste ce passage : « L’ennui me saisit quand je vois les « pécheurs abandonner votre loi[2] ».
Bien souvent un homme s’efforce de redresser ceux qui dépendent de lui, et dont les mœurs dépravées et corrompues inspirent à sa vigilance la plus vive sollicitude ; mais souvent aussi son adresse et ses soins demeurent stériles ; alors, il faut qu’il les supporte, puisqu’il est incapable de les ramener au bien. Ce malheureux, qui résiste à tes généreux efforts, t’appartient, soit parce qu’il est homme comme toi, soit parce que d’ordinaire les liens de la communion ecclésiastique vous unissent ensemble. S’il est membre de la même Église, que feras-tu ? En quel endroit te réfugier ? Comment te séparer de lui pour n’avoir plus rien à supporter de sa part ? Approche-toi de lui : adresse-lui la parole, exhorte-le, flatte-le, menace-le, réprimande-le. J’ai fait tout cela ; j’ai dépensé, j’ai épuisé tout ce que j’avais de forces, et je ne vois pas que j’aie réussi en quelque chose ; je suis à bout de ressources ; il ne me reste donc qu’à gémir et à pleurer. En présence de l’inutilité de mes efforts, mon cœur pourra-t-il jamais trouver le repos ? Je dirai donc : « Qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » « Comme à la colombe », et non point, comme au corbeau. La colombe cherche, en prenant son vol, à échapper à ceux qui la tourmentent ; mais elle ne perd point pour cela la charité. Elle est le symbole de l’amour, et l’on aime à entendre ses cris plaintifs. Nul être n’est si ami des gémissements ; elle se plaint nuit et jour : on dirait que Dieu l’a placée ici-bas parce qu’il faut y gémir. Quel est donc le langage de cet homme, au cœur duquel la charité ne s’éteint pas ? Je ne puis supporter les outrages des hommes ; ils grincent des dents contre moi ; la rage les transporte ; la colère s’est allumée en eux, et, dans leur fureur, ils me noircissent ; je ne puis leur être utile ; puissé-je donc goûter le repos quelque part, éloigné d’eux corporellement, mais uni de cœur à eux tous ! Puisse mon amour pour eux ne point s’ébranler en moi ! Mes paroles et mes entretiens leur sont inutiles : je leur ferai peut-être plus de bien par mes prières. Les hommes parlent ainsi ; mais, d’habitude, ils se trouvent si étroitement liés, qu’ils sont incapables de prendre leur essor : ce n’est point la glu qui paralyse leurs ailes, c’est le devoir. Si le devoir et les exigences de leur charge les arrêtent, s’ils ne peuvent s’éloigner, ils sont, du moins, à même de dire avec saint Paul : « Je désirerais mourir et « me voir réuni au Christ : c’est ce qui m’est le plus avantageux ; mais je dois encore rester en vie à cause de vous[3] ». Pareil à une colombe que retient, non pas la passion, mais la charité, il ne pouvait s’envoler : il ne manquait pas de mérites pour cela : la nécessité de remplir son devoir y mettait seule obstacle. Néanmoins, le désir de la séparation doit toujours vivre dans notre cœur : celui-là seul le comprend, qui se trouve déjà engagé dans la voie étroite[4] ; car il sait que les persécutions ne font pas défaut à l’Église, même en ce temps où elle semble se reposer tranquillement de toutes celles qu’ont subies les martyrs. Non, les persécutions ne manquent pas de nos jours, car elle est vraie cette parole de l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ, souffriront persécution »[5]. Tu ne souffres pas persécution, c’est que tu ne veux pas vivre avec piété dans le Christ. Veux-tu la preuve de ce que tu as entendu tout à l’heure ? Commence à vivre pieusement dans le Christ. Mais en quoi consiste cette vie pieuse ? À ressentir au dedans de toi-même la vérité de ces paroles de saint Paul, et à répéter : « Qui est-ce qui

  1. Gal. 6,17
  2. Ps. 118,55
  3. Phil. 1,23-24
  4. Mt. 7,14
  5. 2 Tim. 3,12