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Est-ce que de telles gens ne le prient pas tous les jours ? Non, ils ne le prient pas. Attention ! je vais essayer avec l’aide de Dieu de vous le faire comprendre. Dieu veut qu’on le serve et qu’on l’aime gratuitement, c’est-à-dire dans le sentiment d’un pur amour, parce qu’il se donne lui-même, mais non parce qu’en outre de lui-même il donne encore autre chose. Aussi l’homme qui prie Dieu de lui donner des richesses, n’invoque pas Dieu, mais il invoque les biens dont il veut s’enrichir. Appeler à soi, n’est-ce point le vrai sens du mot invoquer ? Invoquer signifie donc appeler à soi. En effet, quand tu dis : Seigneur, accordez-moi de la fortune, ton désir n’est pas que Dieu lui-même vienne à toi, tu ne veux y voir venir que la fortune. Ce dont tu souhaites entrer en possession, voilà ce que tu invoques. Si tu invoquais Dieu, il viendrait lui-même à toi et serait ton trésor. Le plus vif objet de tes désirs, c’est une aire remplie de toutes parts, peu t’importe que ton âme reste vide des biens célestes. Dieu remplit le cœur et non les celliers. De quelle utilité peuvent être pour toi les biens extérieurs, si tu es dénué des biens intérieurs ? Ceux-là donc ne prient pas Dieu qui le prient pour obtenir de lui les avantages temporels, les biens d’ici-bas, le bonheur de cette vie terrestre et passagère. Aussi que lisons-nous ensuite ? « Ils ont été saisis par la crainte là où il n’y avait rien à craindre ». Que l’on perde sa fortune, y a-t-il là un vrai sujet de crainte ? Non, et pourtant on redoute une pareille perte. On aurait bien raison de trembler si l’on venait à perdre la sagesse ; et c’est précisément là qu’on ne se trouble pas. Écoute, réfléchis et saisis bien le caractère des méchants.
9. L’on confie à un homme un petit sac d’argent : il ne veut point le rendre, il le regarde comme sa propriété, il ne pense pas qu’on puisse le lui réclamer, il le considère comme lui appartenant, il refuse de s’en dessaisir. Il lui est facile de voir ce qu’il craint de perdre, ce qu’il refuse d’avoir ; son âme est partagée entre l’argent et la probité. Plus est précieuse à tes yeux l’une rie ces choses, plus on doit craindre de la perdre. Pour garder l’or tu perds la probité. Tu souffres un dommage bien plus considérable que celui de rester pauvre, et le gain que tu as fait te comble de joie : tu as été saisi de crainte là où tu n’avais rien à craindre. Rends cet argent. Je dis trop peu en m’exprimant ainsi : perds-le pour ne point perdre la fidélité. Tu crains de rendre cet argent, et tu consens à perdre la probité. Les martyrs ne se sont point emparés des richesses d’autrui, afin de ne point perdre la foi. Ils ont même poussé le désintéressement jusqu’à mépriser les leurs. Ils ont perdu leur âme pour la retrouver dans la vie éternelle[1]. Ils ont donc été saisis de crainte quand il fallait craindre. Mais ceux qui ont dit du Christ : « Il n’est pas Dieu, ceux-là ont tremblé quand il n’y avait pas sujet de le faire ». En effet, ils ont dit : « Si nous le laissons aller, les Romains viendront et ils nous ôteront notre pays et notre royaume[2] ». Quelle folie, quelle imprudence de dire dans son cœur : « Il n’est pas Dieu ». Tu as craint de perdre la terre, et tu as perdu le ciel ; tu as craint de voir les Romains venir et t’enlever ton pays et ton royaume ; auraient-ils été à même de t’enlever ton Dieu ? Que te reste-t-il, sinon la nécessité d’avouer que tu as laissé échapper de tes mains ce que tu as voulu conserver contre les droits de la justice ? En faisant mourir le Christ, tu as perdu ton pays et ton royaume. Vous avez préféré la mort du Christ à la perte de votre pays, et vous avez perdu tout à la fois votre pays, votre royaume et le Christ. La crainte les a portés à crucifier le Sauveur, mais pourquoi cela ? « Parce que Dieu disperse les ossements de ceux qui veulent plaire aux hommes ». Ils voulaient plaire aux hommes, et ils ont tremblé à la pensée de perdre leur pays. Mais le Christ dont ils ont dit : Il n’est pas Dieu, a mieux aimé déplaire à des hommes de leur caractère, il a préféré déplaire aux enfants des hommes, et non point aux enfants de Dieu. Aussi leurs ossements ont-ils été dispersés, tandis que les siens sont demeurés intacts : « Eux ont été couverts de confusion, parce que « Dieu les a méprisés ». Et de fait, mes frères, ils ne pouvaient, en ce qui les concernait, être couverts d’une confusion plus complète, car la nation juive a cessé d’exister en ces lieux où les Israélites avaient mis le Christ à mort, précisément dans l’intention de conserver leur pays et leur royaume ; et toutefois, en leur manifestant ainsi son mépris, Dieu a voulu les exciter à se convertir. Qu’ils reconnaissent donc maintenant le Christ ; qu’après

  1. Mt. 10,39
  2. Jn. 11,48