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l’assemblée des hommes terrestres. Plus de biens tu auras, plus grand tu seras : voilà bien la manière dont s’expriment les avares, les ravisseurs du bien d’autrui, les oppresseurs de l’innocence, les envahisseurs des propriétés qui ne leur appartiennent pas, ceux qui refusent de rendre les dépôts à eux confiés. Plus tu posséderas, plus grand tu seras c’est-à-dire, la mesure de ta fortune en argent et en propriétés sera la mesure de ta puissance : « Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui, mais qui a placé son espérance dans la grandeur de la fortune ». Un pauvre méchant dira peut-être : Je ne suis pas du nombre de ces gens-là, parce que le Prophète a dit. « Il a mis son espérance dans la grandeur de sa fortune » ; puis, jetant les yeux d’une part sur ses haillons, d’autre part, sur son voisin, qui fait partie du peuple de Dieu, mais qui est riche et bien mieux vêtu que lui, il se dira encore intérieurement : Le Prophète a voulu parler de celui-ci : il n’a pas pu parler de moi. Ne t’y trompe pas, il n’y a ni distinction ni exception à faire en ta faveur. Vois et crains, afin de rire plus tard. Les ressources te manquent, mais si ton cœur est rongé par la convoitise, en es-tu plus innocent ? Notre-Seigneur Jésus-Christ dit un jour à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes ; donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, viens et suis-moi ». Cet homme s’éloigna le cœur chagrin, le Seigneur avait alors donné aux riches un grand sujet de craindre pour leur salut, car il avait ajouté qu’« il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. À ces mots, ses disciples contristés se dirent les uns aux autres : S’il en est ainsi, qui est-ce qui pourra se sauver[1] ? » En parlant de la sorte ne faisaient-ils attention qu’au petit nombre des riches ? L’innombrable multitude des pauvres n’occupait-elle point leur pensée ? Ne pouvaient-ils pas se dire : Puisqu’il est aussi difficile, aussi impossible à des riches d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, tous les pauvres entreront dans le ciel, les riches seuls en seront exclus ? Y a-t-il beaucoup de riches ? la multitude des pauvres est immense, on les compte par milliers. Ce n’est point de nos vêtements, mais de l’éclat de notre justice que dépendra notre gloire dans le royaume céleste. Les pauvres y seront égaux aux anges de Dieu, revêtus de la robe de l’immortalité, ils brilleront de l’éclat du soleil dans le royaume de leur père. Pourquoi donc nous inquiéter, pourquoi nous tourmenter d’un si petit nombre de riches ? Mais ce n’était point là la pensée des Apôtres ; et lorsque le Seigneur leur disait : « Il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux », et qu’ils demandaient : « Qui est-ce qui pourra se sauver ? » ils avaient en vue les convoitises et non la fortune. Ils voyaient en effet que les pauvres eux-mêmes sont rongés par l’avarice, malgré leur pénurie. L’avarice, voilà la cause de la condamnation des riches ; ce n’est pas leur aisance, et pour vous en assurer, remarquez bien ce que je dis : Ce riche que tu vois à. tes côtés e de la fortune et n’est peut-être pas avare ; pour toi tu ne possèdes rien, mais la soif des richesses te dévore. Un pauvre couvert d’ulcères, accablé de maux, léché par des chiens, n’ayant ni ressources, ni aliments, ni même de quoi se vêtir, a été emporté par les anges dans le sein d’Abraham[2]. À ce souvenir tu te réjouis d’être pauvre ; est-ce que tu désirerais aussi les ulcères de Lazare ? Est-ce que la santé n’est pas pour toi une véritable fortune ? Lazare a tiré son mérite, non de sa pauvreté, mais de sa piété. Qui est celui qui a été emporté par les anges ? Tu le vois ; où a-t-il été emporté ? Tu ne le vois pas. Quel est-il ? Un pauvre accablé de maux et couvert d’ulcères. Où les anges l’ont-ils transporté ? Dans le sein d’Abraham. Si tu lis les Écritures, tu verras qu’Abraham était riche[3]. Sache-le bien, les richesses ne sont point blâmables, car Abraham possédait de l’or en abondance, aussi bien que de l’argent, des troupeaux, des serviteurs ; en un mot, il était riche, et c’est dans son sein que le pauvre Lazare s’est vu transporter. Oui, un pauvre a été reçu dans le sein d’un riche : quel contraste ! Mais non, ils étaient tous deux riches de Dieu ; ils étaient l’un et l’autre pauvres de convoitises.
15. Qu’est-ce donc que l’Écriture condamne en Doëch ? Elle ne dit pas : Voilà l’homme qui a été riche ; mais : « Voilà l’homme qui n’a point mis en Dieu son appui, qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses ». Il est

  1. Mt. 19,21-25
  2. Lc. 16,22
  3. Gen. 13,2