Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/573

Cette page n’a pas encore été corrigée

grande, si simple, si féconde, si profondément affermie est bien digne de produire de pareils fruits. Mais la racine de Doëch sera arrachée de la terre des vivants.
13. « Et les justes verront et ils seront saisis de crainte, et ils riront de lui »[1]. Quand craindront-ils ? quand riront-ils ? Cherchons à le comprendre et. à bien voir en quel temps l’on peut craindre et rire d’une manière vraiment utile. Pendant le cours de notre pèlerinage ici-bas, prenons garde de rire, dans la crainte de pleurer ensuite. Nous lisons ce que l’avenir réserve à Doëch, et parce que nous le comprenons et le croyons, nous voyons, mais nous craignons. Il a donc été dit : « Les justes verront et seront saisis de crainte ». À la vue de ce qui adviendra finalement aux méchants, pourquoi tremblons-nous ? parce que l’Apôtre a dit : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement[2] ». Pourquoi avec tremblement ? « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber[3] ». Pourquoi avec tremblement ? parce qu’il est dit en un autre endroit : « Mes frères, si quelqu’un est tombé par surprise en quelque faute, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous pensant à lui-même et craignant d’être tenté de la même manière[4] ». Donc ceux qui sont justes aujourd’hui, qui vivent de la foi et qui connaissent l’avenir réservé à Doëch, craignent pour eux-mêmes le même sort, car ils savent se qu’ils sont aujourd’hui, ils ignorent ce qu’ils seront demain. « Les justes verront d’abord, et ils craindront », et quand riront-ils ? quand le règne de l’iniquité sera venu à son terme ; lorsque le temps de l’incertitude aura disparu, comme il a déjà disparu en grande partie : quand se seront évanouies les ténèbres de ce monde, au milieu desquelles nous ne marchons que guidés par la lumière des Écritures, et toujours tourmentés par la crainte de nous perdre dans les ombres de la nuit. Nous marchons en effet à la clarté de la prophétie ; car voici ce que nous dit l’apôtre saint Pierre : « Nous avons les oracles des prophètes, dont la certitude ne laisse aucun doute et auxquels vous ferez bien de vous arrêter comme devant une lampe qui luit dans un lieu obscur jusqu’à ce que le jour commence à vous éclairer et que l’étoile du matin se lève en vos cœurs[5] ». Tant que nous marchons à la lumière d’une lampe, il nous faut vivre avec le sentiment de la crainte ; mais quand sera venu pour nous le véritable jour, c’est-à-dire quand aura lieu cette manifestation du Christ dont l’Apôtre nous parle en disant : « Lorsqu’apparaîtra. Jésus-Christ votre vie, vous « paraîtrez aussi avec lui dans sa gloire[6] », alors les justes riront de Doëch, alors le temps de lui venir en aide sera passé : aujourd’hui si tu vois un homme de mauvaise conduite, tu travailles à le corriger ; car celui qui vit dans l’injustice, peut se convertir et redevenir bon, comme le juste est capable de perdre son innocence et de devenir coupable. Tu ne dois donc ni avoir de toi trop bonne opinion, ni désespérer d’autrui. Si donc tu es bon, si tu ne préfères point le mal au bien, mets tous tes soins, à ramener dans b chemin droit celui qui marche dans la voie de l’iniquité. Mais quand aura sonné l’heure du jugement, il n’y aura plus lieu à correction, ce sera le moment de la condamnation ; et si alors on se repent, le repentir sera inutile, parce qu’il viendra trop tard. Veux-tu que ta pénitence soit profitable ? N’attends pas, corrige-toi dès aujourd’hui tu es coupable, Dieu est ton juge, efface tes fautes et l’approche de ton juge te remplira de joie. Aujourd’hui il t’exhorte à la conversion afin de n’avoir pas à te juger ; il te demandera plus tard un compte rigoureux, aujourd’hui il se fait ton avocat. Alors donc, mes frères, ce sera le temps de rire. Le livre de la Sagesse nous parle clairement de ces moqueries adressées aux justes par les méchants. Car la Sagesse elle-même, prenant possession des âmes pures, leur fera tenir ce langage : « Je vous reprenais et vous ne m’écoutiez pas, je vous parlais et vous ne prêtiez pas l’oreille à mes discours ; aussi je rirai lorsque je verrai votre perdition[7] ». Ainsi les justes parleront-ils à Doëch. Voyons aujourd’hui et tremblons, dans la crainte de nous entendre dire de semblables paroles ; et, si nous ressemblons à Doëch, corrigeons-nous, afin que vivant aujourd’hui sous l’empire de la crainte, nous puissions plus tard nous livrer à la joie.
14. Que diront alors ceux qui riront ? « Et ils se moqueront de lui et ils diront : Voilà l’homme qui n’a pas mis en Dieu son appui[8] ». Vous le voyez, il est ici question du

  1. Ps. 51,8
  2. Id. 2,11
  3. 1 Cor. 10,12
  4. Gal. 6,1
  5. 2 Pi. 1,19
  6. Col. 3,6
  7. Prov. 1,21
  8. Ps. 51,9